Un apprenti de Li Anmin grave un motif de dragon sur un chaudron. (PHOTO : YU XIANGJUN)
« Sur le mont Wutai, on prie le Bouddha, à Datong, on achète du cuivre. » Ce dicton illustre le lien profond entre la ville de Datong (Shanxi) et l’art du cuivre. D’après les archives historiques, les artisans de la ville maîtrisaient déjà ce savoir-faire il y a plus de 2 000 ans. En 2014, l’art du cuivre de Datong a été inscrit sur la liste du patrimoine culturel immatériel national, lui redonnant ses lettres de noblesse.
Quand la passion rallume les fours
Dans le dédale de la vieille ville de Datong, à l’ombre du temple Shanhua, des coups de marteau résonnent encore dans l’atelier de Li Anmin. Derrière sa vitrine scintille une grande variété d’objets couleur laiton, dont les fameux chaudrons ciselés qui ont fait la renommée de la ville.
À 85 ans, le patriarche du cuivre n’a rien perdu de sa jeunesse. Originaire de Shunping (Hebei), il s’est initié à la fonderie dans une usine de construction mécanique avant de diriger, en 1978, l’Usine d’art métallique de Datong. « À l’époque, il fallait une autorisation spéciale pour acheter un de ces chaudrons en cuivre », se souvient-il.
Pourtant, les années 1990 sonnent le glas de cet âge d’or. Flambée des prix des matières premières, désintérêt des jeunes générations : en 1998, l’usine ferme ses portes, obligeant de nombreux employés à changer de métier. « L’usine pouvait disparaître, mais notre savoir-faire devait perdurer », martèle Li Anmin. Avec un capital de 80 000 yuans et quelques anciens collègues, il a finalement rallumé les fours dans sa cour pour relancer le travail manuel du cuivre.
Après plusieurs années d’efforts, leur travail a porté ses fruits. En 2002, M. Li a fondé sa propre fabrique artisanale qu’il a nommée Tianyichang. Quelques années plus tard, il a ouvert un atelier avec un espace de production, d’exposition et de vente dans le centre historique de Datong. Grâce au tourisme florissant de la ville, ses affaires ont prospéré, insufflant une nouvelle vie à l’art du cuivre de Datong. En 2017, Li Anmin a reçu le titre d’héritier représentatif du patrimoine culturel immatériel national.
Interrogé sur ce qui l’a poussé à sauvegarder et transmettre ce savoir-faire, il répond : « L’art du cuivre de Datong est un trésor culturel de notre pays. En tant qu’artisans, nous devons tout donner pour le préserver. »
Ustensiles en cuivre dans la boutique de Li Anmin (PHOTO : YU XIANGJUN)
Transmettre tout en innovant
L’art du cuivre de Datong puise ses racines dans la dynastie des Zhou orientaux (770-256 av. J.-C.), avant de connaître son apogée sous les Wei du Nord (386-534). Sous les dynasties des Ming et des Qing (1368-1911), ces productions, dont les chaudrons impériaux, les marmites à fondue, le matériel de calligraphie ou encore les services à thé et à vin, comptaient plus de 300 variétés et dominaient une grande part du marché national.
« Un produit en cuivre passe par plus d’une dizaine d’étapes avant d’être achevé, notamment la sélection des matériaux, le dosage d’alliages, la fusion, le martelage, la soudure, le ciselage, l’étamage et le polissage. Au lieu d’être moulés, les objets en cuivre de Datong sont forgés à la main, ce qui les rend uniques. L’essentiel de ce savoir-faire réside dans le martelage et le ciselage, deux étapes qui mettent à l’épreuve les compétences de l’artisan. Le ciselage, à plat ou en relief, nécessite des décennies de pratique », explique Li Anmin.
Au fil des ans, il a formé de nombreux disciples, dont deux maîtres artisans au niveau provincial et cinq au niveau municipal. L’octogénaire accorde également une attention particulière à la transmission du savoir-faire à la jeune génération, surtout auprès des écoliers.
Pour répondre aux besoins du marché, Li Anmin a développé de nouveaux produits tels que des chaudrons en cuivre adaptés aux plaques à induction. Il intègre également des éléments culturels de Datong dans le design. « Nous proposons des chaudrons ornés des “Apsaras Volantes” des grottes de Yungang et des motifs classiques des bronzes des dynasties des Shang et des Zhou (vers 1600-256 av. J.-C.) pour promouvoir la culture de notre ville », explique-t-il.
Son fils, Li Xudong, a pris le relais pour devenir héritier du patrimoine culturel immatériel national. Selon lui, les efforts déployés pour transmettre cet ancien savoir-faire portent déjà leurs fruits : « Grâce au soutien de l’État pour la protection du patrimoine culturel immatériel, les Chinois prennent conscience de la valeur de nos objets en cuivre, ce qui se reflète dans le nombre croissant de nos ventes. »
Alain Pompidou s’essaie au travail du cuivre avec l’aide de Li Anmin. (PHOTO FOURNIE PAR LI ANMIN)
Entrer sur la scène mondiale
En 1973, lors de la visite historique du président français Georges Pompidou à Datong, accompagné du Premier ministre chinois Zhou Enlai, un moment marquant a scellé la renommée mondiale de l’artisanat local. Au cours d’un repas, M. Pompidou a fait l’éloge de la marmite en cuivre posée sur la table. À la fin de la visite, une marmite en cuivre ornée du motif « neuf dragons sous la lumière de la lune » lui a été offerte en cadeau d’État. Ce chef-d’œuvre, inspiré du mur des neuf dragons devant le Palais de Daiwang à Datong, adoptait les techniques de marqueterie, de gravure en relief et de traçage, si spécifiques à la ville. Les dragons sur la marmite semblaient prendre vie, leurs flammes et leurs écailles ciselées captant la lumière. Plusieurs journalistes chinois et étrangers ont immortalisé la scène de la remise du cadeau, faisant connaître l’art du cuivre de Datong dans le monde entier.
En 2019, Alain Pompidou, fils du président Georges Pompidou, et son épouse ont visité Datong et ont manifesté un grand intérêt pour ce même artisanat. Avec l’aide de Li Anmin, M. Pompidou a essayé de s’initier à la gravure sur cuivre. « Comme mon père est venu ici, je ressens un attachement particulier pour cette ville. Je garderai aussi de nombreux beaux souvenirs. »
« Alain Pompidou a annoncé son intention de créer à Datong une communauté artistique internationale, dont la planification est en cours. À l’avenir, elle servira de point de rendez-vous pour les artistes du monde entier. Nous espérons qu’avec cette initiative, l’art du cuivre de Datong pourra jouir d’une renommée mondiale », déclare Li Anmin.