Lorsque Mark Thomas naquit en 1946, on lui donna un deuxième prénom inhabituel : Aylwin. C’était le même prénom que portait son oncle, George Aylwin Hogg, le jeune journaliste britannique venu en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait relaté ses souffrances, dénoncé les atrocités de guerre japonaises, sauvé et éduqué des jeunes Chinois, pour finalement y perdre la vie à seulement 30 ans.
Mark Thomas visite le Mémorial des victimes du massacre de Nanjing perpétré par les envahisseurs japonais à Nanjing, le 14 août 2025. (Photo : Zhang Qinzheng)
Thomas n’a jamais rencontré son oncle, pourtant ce prénom les liait. « Cela signifie ami sage ou ami noble », confie Thomas.
« Et il est certain qu’il est devenu un ami sage et noble de la Chine. »
Des décennies plus tard, alors que Mark marchait sur les traces de son oncle, visitant la maison troglodyte du Shaanxi où son oncle avait vécu autrefois, lisant ses lettres, il avait l’impression de devenir George. C’est dans ces instants intimes, où la mémoire familiale rejoint l’histoire vécue, que Mark a compris pourquoi l’histoire de son oncle devait être racontée, non seulement en Chine, où George est célébré par des statues et des salles commémoratives, mais aussi dans le reste du monde, où son véritable parcours demeure largement méconnu.
Un noble ami
George naquit en 1915 dans une famille de la classe moyenne à Harpenden, en Angleterre, et arriva en Chine à la fin des années 1930 après avoir obtenu son diplôme de l’Université d’Oxford. Témoin des horreurs commises par l’armée japonaise à Shanghai, Nanjing et Wuhan, il rédigea des reportages pour des médias comme United Press Association et The Manchester Guardian, décrivant en détail les ravages infligés à la Chine.
Exposition commémorant le journaliste et éducateur britannique George Hogg à Harpenden, en Grande-Bretagne, le 22 juillet 2025.
Contrairement à de nombreux correspondants étrangers de l’époque, qui se concentraient principalement sur les stratégies militaires et les manœuvres politiques, George s’intéressait aux Chinois ordinaires, à leur souffrance, à leur survie et à leur endurance face à la guerre, qu’ils affrontaient avec détermination.
Reconnaissant son talent et son intégrité, de hauts responsables chinois tels que le général Nie Rongzhen et le maréchal Zhu De l’encouragèrent personnellement à parcourir largement la Chine et à en raconter la véritable histoire au monde, explique Mark. C’est exactement ce que fit George, rapportant fidèlement la réalité à partir du terrain.
Parallèlement, il collabora étroitement avec des alliés internationaux tels que le Néo-Zélandais Rewi Alley et les journalistes américains Edgar et Helen Snow, s’impliquant profondément dans le mouvement des coopératives industrielles. Ces coopératives, établies dans les zones non occupées, offraient aux travailleurs sans emploi et aux réfugiés un moyen de produire à la fois du matériel à usage militaire et civil pour soutenir l’effort de guerre de la Chine. Les articles de George contribuèrent également à mobiliser un soutien international en faveur du mouvement.
Mais c’est à travers son rôle d’éducateur que George se rapprocha encore davantage du peuple. Aux côtés de Rewi Alley, il participa à la création d’écoles accueillant des jeunes ruraux défavorisés, leur enseignant des compétences pratiques afin qu’ils puissent ensuite rejoindre les coopératives. En tant que directeur de l’école Bailie à Shuangshipu (Shaanxi), il devint une figure paternelle pour ses élèves.
« Toujours avec un sourire et des encouragements, jamais d’ordres sévères », raconte Mark. « Il travaillait avec eux, pas au-dessus d’eux. »
George alla même jusqu’à adopter quatre frères orphelins, qui le considéraient comme l’homme qui leur avait sauvé la vie.
En 1944, afin de protéger ses élèves de la guerre, George emmena une soixantaine d’entre eux et plusieurs tonnes de matériel pédagogique dans une périlleuse traversée du Shaanxi jusqu’à Shandan (Gansu), où ils poursuivirent leur travail dans le désert. Ce fut un voyage légendaire qui scella sa place dans le cœur de ceux qu’il guida.
Tragiquement, le 22 juillet 1945, à seulement quelques semaines de la fin de la Seconde Guerre mondiale, George mourut des suites d’un tétanos à Shandan, à l’âge de 30 ans.
Pour Mark, l’héritage de son oncle est profond. La famille lui donna le deuxième prénom Aylwin, le même que celui de George. Lors de sa visite en Chine, Mark s’est rappelé qu’on lui avait cité un proverbe : « Si tu donnes un nom à une personne, elle deviendra ce que ce nom représente. »
L’histoire continue
Une nouvelle connexion avec son oncle George a commencé de manière inattendue en 1988, lors d’une visite en Chine. Mark avait été invité par le Gansu à interpréter le rôle de George dans une série télévisée. Pour se préparer, Mark s’était immergé dans le monde de son oncle, lisant ses lettres manuscrites, étudiant des documents et discutant avec sa tante, alors la seule survivante de la fratrie.
Mark Thomas visite le Mémorial des victimes du massacre de Nanjing perpétré par les envahisseurs japonais à Nanjing, le 14 août 2025. (Photo : Zhang Qinzheng)
« Plus je lisais, plus je me sentais proche de lui », se remémore Mark. « Quand il s’agissait de jouer, je devenais presque comme lui. J’avais vraiment l’impression de pénétrer dans sa vie. » Cette expérience lui a donné l’idée d’écrire une biographie sur son oncle. Dans les années 1990, Mark a commencé à l’écrire, convaincu que cette histoire remarquable devait être racontée dans son intégralité.
Cette conviction s’est renforcée en 2015, lors de la sortie du film hollywoodien The Children of Huang Shi, qui raconte l’histoire de George Hogg. « Le film s’éloignait tellement de la vérité », explique Thomas. « Il y avait beaucoup d’explosions, de romance et d’inventions hollywoodiennes. Mais la véritable histoire était bien plus riche. » Déterminé à rétablir les faits, Thomas a publié Blades of Grass: The Story of George Aylwin Hogg en 2017.
Dans son livre, Mark retrace les origines familiales de George Hogg, son parcours du Royaume-Uni vers la Chine, ainsi que les qualités qui ont fait de lui une figure si exceptionnelle. Le plus grand don de George Hogg, explique-t-il, était sa capacité à instaurer le respect et la compréhension entre les cultures. « C’est ainsi qu’il a accompli tant de choses en si peu de temps... Et c’est toujours la clé aujourd’hui : pour que toute relation internationale progresse, chaque partie doit chercher à comprendre la culture et la vision de l’autre. Sans cela, la conversation devient une lutte difficile. »
Une partie de sa mission, note Mark, consiste à aider les personnes en dehors de la Chine à mieux comprendre l’histoire moderne du pays. « Pendant ces années de guerre, de nombreux journalistes faisaient des reportages depuis la Chine », souligne-t-il. « Mais en Occident, une grande partie de ces informations était éclipsée par les propres luttes de l’Europe. La Chine semblait trop lointaine pour que les gens saisissent ce qui se passait. »
C’est pourquoi, selon Mark, il est d’autant plus important de raconter aujourd’hui l’histoire de George Hogg, non seulement comme la vie d’un homme remarquable, mais aussi comme une fenêtre sur la résilience et les souffrances de la Chine pendant la guerre, et comme un rappel du pouvoir du respect, de la compréhension et de la connexion humaine.
*LI WENHAN est journaliste à Beijing Review