Se souvenir de l'histoire et chérir la paix

Ni oubli, ni réécriture de l'histoire
By JEAN PÉGOURET* | Dialogue Chine-France | Updated: 2025-09-11 10:15:00

Des porte-drapeaux dassociations danciens combattants et militaires français se recueillent devant un monument portant les noms de soldats tombés pendant la Seconde Guerre mondiale, lors dune cérémonie marquant le 80eᵉanniversaire de la victoire du 8 mai 1945 et de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, au mémorial de guerre de Bordeaux, le 8 mai 2025. 

Alors que nous célébrons le 80e anniversaire de la victoire commune contre le nazisme et le militarisme et que certains en Europe cherchent à réécrire l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, en substituant par exemple la commémoration du 6 juin 1944 (débarquement en Normandie) à celle du 8 mai 1945 (victoire sur le nazisme), il est essentiel de rappeler une vérité historique incontournable : les peuples de Chine et dUnion soviétique ont payé le plus lourd tribut dans la lutte contre le fascisme. 

La Chine a eu plus de 21 millions de victimes civiles et militaires durant la Guerre de résistance contre lagression japonaise (1937-1945) et lURSS, 27 millions de morts. Il faut les comparer aux pertes françaises, qui sélevèrent à environ 600 000 morts, et aux pertes américaines, à environ 400 000. 

Le vétéran de la Seconde Guerre mondiale Percival James Smith salue lors dune cérémonie commémorant le 80e anniversaire de la libération des Pays-Bas et de la Journée de la Victoire en Europe, à Toronto, le jeudi 8 mai 2025. 

Ces chiffres rappellent une évidence : sans le sacrifice héroïque de l'Armée rouge et la résistance chinoise, la victoire contre les forces de l'Axe aurait été impossible. 

Il ne faut pas oublier non plus que les populations des pays agresseurs, lAllemagne et le Japon, ont elles aussi payé le prix du militarisme de leurs dirigeants avec respectivement 7,3 et 2,9 millions de morts. 

Nous devons résister à toute tentative de réécriture de lhistoire car une paix véritable et durable qui honore toutes les victimes ne peut se construire sur l'oubli, le mensonge ou lhumiliation. 

La quête de paix, une constante depuis l'Antiquité 

Dès le Ve siècle avant notre ère, les philosophes grecs avaient réfléchi aux conditions de la paix. Aristote considérait que la paix était l'état naturel des sociétés bien gouvernées et Thucydide montrait comment la paix fragile après les guerres médiques avait conduit à la guerre du Péloponnèse. 

Un vétéran de la Seconde Guerre mondiale participe au défilé militaire du Jour de la Victoire pour commémorer le 80e anniversaire de la victoire contre le fascisme, à Kazan (Russie), le 9 mai 2025. 

La pensée chinoise antique à la même époque avait développé des concepts sophistiqués en la matière. Confucius prônait lharmonie sociale comme fondement de la gouvernance vertueuse. Dans son ouvrage LArt de la Guerre, Sun Tzu enseignait que « le meilleur général est celui qui gagne sans combattre ». Le concept de tianxia envisageait un ordre mondial harmonieux. 

Ces traditions nées dans des contextes de guerre dans des civilisations éloignées dans lespace montrent que la paix a toujours été perçue comme un idéal. 

Tirer les leçons de l'histoire 

L'histoire montre que les traités humiliants et les paix « punitives » engendrent de nouveaux conflits. Le Congrès de Vienne en 1815 après les guerres napoléoniennes et l'écrasement des aspirations nationales a nourri les révolutions du XIXe siècle. Lhumiliation de lAllemagne au Traité de Versailles en 1919 a alimenté lascension du nazisme. La division du monde en 1945 a créé des tensions durables qui sexacerbent aujourdhui. 

Certaines initiatives de paix fondées sur la « main tendue » et le respect mutuel sont des exemples de réussites comme la réconciliation franco-allemande daprès 1945 puis la construction européenne. LOrganisation de Coopération de Shanghai (OCS) a permis depuis 1995 la résolution pacifique des contentieux frontaliers sino-russes. 

La Chine fait la promotion dune communauté davenir partagé pour lhumanité et travaille au développement commun en Afrique et en Asie plutôt quà un « China First ». Contrairement à lEurope, la Chine na pas vécu de « moment Nuremberg » complet mais a choisi une voie équilibrée combinant la mémoire historique comme le Mémorial de Nanjing, la diplomatie pragmatique privilégiant le développement économique et la coopération régionale. Une paix durable se construit en effet sur la justice et le respect mutuel, pas sur la vengeance. 

Assurer la paix au quotidien 

La transmission de la mémoire historique, la construction de ponts entre les peuples et le rôle des jeunes sont des axes fondamentaux. Léducation des jeunes générations ne doit pas sinterrompre. Les films et les séries consacrées au courage et au sacrifice des combattants contribuent à entretenir la mémoire de ces luttes. Ces productions existent et doivent être diffusées largement et réactualisées au fil des nouveaux codes de communication. 

Les lieux de mémoire comme le Mémorial de Nanjing servent à rappeler ce qui ne doit pas se reproduire. De même, les échanges universitaires entre jeunes de tous les pays doivent être développés pour briser les a priori et créer des amitiés au-delà des différences de cultures. 

Vue depuis le sommet de lArc de Triomphe lors de la reddition inconditionnelle de lAllemagne nazie, marquant la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe, le 8 mai 1945 

Les projets communs sur le climat ou la santé mondiale, les jumelages entre villes sont des occasions de partager les expériences et de montrer quau-delà des différences les hommes affrontent les mêmes défis et que leur avenir est partagé. La paix est le cadre qui doit prévaloir, pas le mépris ou la volonté de domination. 

Dans un monde marqué par la montée des extrémismes, avec les tensions en Ukraine et au Moyen-Orient, le risque de nouvelle course aux armements, les jeunes peuvent utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir la vérité historique et faire vivre le dialogue interculturel. 

Les voyages et les séjours à létranger ont montré leur efficacité pour briser les préjugés, découvrir les richesses et revenir comme ambassadeurs de la paix et des échanges gagnant-gagnant. 

Au moment où lon commémore ce 80e anniversaire à Beijing en présence notamment des présidents chinois et russe, rappelons que l'oubli et la réécriture de l'histoire seraient une nouvelle humiliation pour les peuples qui ont apporté la victoire, ainsi quune menace pour la paix. 

Honorons nos héros en restant fidèles à la vérité historique, tout en tendant la main à tous les peuples épris de paix, car comme le disait le maréchal Zhu De : « Ceux qui oublient le passé sont condamnés à le revivre ». 

Chérissons la paix et préservons-la pour bâtir une civilisation de lharmonie. « Le sage recherche lharmonie, pas la victoire », dit un dicton chinois.  

*JEAN PÉGOURET est sinologue et géopolitologue français, président de Saphir Eurasia Promotion 

Numéro 24 avril-juin 2025
Se souvenir de l'histoire et chérir la paix
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