Il y a six ans, une phrase du professeur Liu Cheng de l’Université de Nanjing a complètement transformé ma compréhension de la paix : « La paix ne consiste pas seulement en l’absence de guerre (paix négative). Il faut aussi s’efforcer d’éliminer la pauvreté, la violence, les violations des droits humains et la pollution environnementale, afin que chacun puisse vivre dans la dignité et l’abondance (paix positive). »
C’est devenu depuis lors le principe directeur de mon travail à la Chaire UNESCO d’études sur la paix.
Forum de la Paix de Nanjing « Les jeunes en action : Art pour la paix, séance de partage des jeunes », en 2020
Du « nuage de mots de la paix » à un cours à succès
L’une de mes principales missions a été de promouvoir l’éducation à la paix, en organisant des centaines d’activités allant de l’université à la maternelle. Mais l’étape la plus marquante fut l’introduction systématique de l’éducation à la paix dans les collèges.
Au printemps 2021, nous avons ouvert au lycée n°29 de Nanjing une série de cours intitulée Croître avec la paix, sans doute la première intégration officielle de l’éducation à la paix dans un collège en Chine. Lors de la première séance, nous avons proposé une activité de « nuage de mots » : « Quand on évoque la paix, à quoi pensez-vous ? »
Les réponses des élèves ont dépassé toutes nos attentes : « amitié », « intégration des peuples », « bonheur », « sécurité », « harmonie », « compréhension », « coopération »... Pour eux, la paix n’était déjà plus un slogan abstrait, mais une expérience quotidienne et vivante. Nous avons alors introduit les notions de paix positive et négative, dans une démarche participative qui a rencontré un immense succès. D’après l’école, ce cours est vite devenu l’un des plus populaires : toutes les places se sont envolées en quelques minutes à l’ouverture des inscriptions.
L’enthousiasme des élèves, moteur de l’innovation
Portés par cet engouement, nous avons lancé au lycée Ninghai de Nanjing le tout premier cours de paix pour lycéens en Chine : Éducation à la compréhension internationale et à la paix. Ces pratiques ont abouti à la rédaction des manuels Éducation à la paix pour le secondaire et Éducation à la paix pour le primaire, tandis qu’un album illustré pour enfants est en cours de développement. Peu à peu, l’éducation à la paix s’est diffusée de Nanjing vers d’autres régions, comme Weifang (Shandong) et Zhijiang (Hunan).
Première leçon d’éducation à la paix au lycée n°29 de Nanjing
Briser les barrières en dansant
La jeunesse est une force indispensable à la construction de la paix. En 2020, à l’occasion de la Journée internationale de la paix, nous avons organisé l’événement « Youth in Action ». Le forum de la journée a permis des échanges profonds entre jeunes du monde entier, responsables onusiens et chercheurs. Le soir venu, la rencontre artistique « L’art pour la paix » a libéré une énergie différente : musique, poésie, danse ont servi de langages universels.
Le moment fort fut cette ronde spontanée où, sans distinction de nationalité ni répétition préalable, les jeunes se sont pris par la main pour former un immense cercle, riant et dansant ensemble. Les barrières de langue et de culture se sont évanouies, ne laissant place qu’à la connexion et à la joie.
Après coup, une jeune Taïwanaise nous a confié en larmes : « Merci ! Je n’ai jamais ressenti un bonheur aussi intense ! » Ce témoignage nous a rappelé que la paix n’est pas seulement un concept, mais aussi une expérience émotionnelle profonde qui relie les cœurs au-delà des différences.
Une ville de paix dans un bol de nouilles
La paix se vit aussi au quotidien, dans l’esprit d’une communauté. En 2017, Nanjing est devenue la 169e Ville internationale de la paix, et la première en Chine. L’objectif : construire collectivement une culture de paix, tournée vers la sécurité, la prospérité et le bien-être.
J. Fred Arment, président de l’Association internationale des villes de paix, pose avec un jeune de Nanjing, en 2019.
En 2019, j’ai accompagné J. Frederick Arment, président de l’Association internationale des villes de la paix, lors de sa visite à Nanjing. Après une visite du musée, nous avons déjeuné dans une petite échoppe de nouilles. Le fils du patron, un adolescent, s’est mis à converser en anglais avec lui. Interrogé sur la Journée nationale de commémoration, il répondit avec gravité : « Nous n’oublierons jamais l’histoire, mais nous ne détestons pas les Japonais d’aujourd’hui. J’espère qu’un jour, leurs représentants viendront chercher la réconciliation. »
En sortant, M. Arment s’est exclamé :
« L’ouverture et la tolérance des habitants de Nanjing sont bouleversantes. C’est une ville prête à se réconcilier et à aller de l’avant. » Les mots de ce jeune garçon incarnaient à eux seuls la culture de paix de Nanjing : faire face à l’histoire, refuser la haine, et espérer la réconciliation.
Construire les défenses de la paix dans les esprits
La Charte de l’UNESCO proclame : « Puisque les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix. »
Mon expérience dans l’éducation à la paix n’est rien d’autre que la mise en pratique de cette idée. Du nuage de mots dans une classe à la danse circulaire des jeunes du monde entier, en passant par les paroles d’un adolescent dans une échoppe de nouilles, j’ai appris que la paix n’est pas un idéal lointain. Elle se construit dans d’innombrables gestes concrets, au fil de chaque échange, chaque compréhension mutuelle, chaque acte de bienveillance.
Le sens profond de l’éducation à la paix est d’enraciner cette idée dans les esprits et d’encourager chacun à la mettre en pratique au quotidien. Quand le cœur abrite la sollicitude pour autrui et pour le monde, un éclat de lumière brille dans le regard ; et quand les êtres humains avancent main dans la main, le chemin de la paix s’ouvre déjà sous leurs pas.
(Photos fournies par Li Siqi)
*LI SIQI est chercheuse associée à la Chaire UNESCO d’études sur la paix, Université de Nanjing