Des pêchers en fleurs dans le village de Gala, à Nyingchi (Xizang), le 6 avril 2025 (PHOTO : YU JIE)
Il y a vingt ans, les destinations emblématiques pour admirer les floraisons printanières en Chine se comptaient sur les doigts d’une main : les champs de colza de Wuyuan (Jiangxi), les pivoines à Luoyang (Henan), les cerisiers en fleurs de Yuantouzhu à Wuxi (Jiangsu) ou encore les pêchers en fleurs de Nyingchi (Xizang). Aujourd’hui, la donne a changé.
Les régions ont en effet compris comment transformer ces paysages éphémères en véritables leviers de développement. En intégrant tourisme, culture et agriculture, elles ont donné aux fleurs une valeur bien au-delà de leur beauté passagère. Ce qui n’était autrefois qu’une attraction saisonnière est désormais une source durable d’activité économique. Les visiteurs ne viennent plus seulement pour voir, mais pour vivre ces paysages à travers des activités immersives.
Sorties printanières
Liu Feng, 26 ans, résident de Zhengzhou, connaît bien le pouvoir des floraisons sur ses choix de voyage. Fin avril 2024, sa visite au temple Jinci à Taiyuan a coïncidé avec l’éclatante floraison d’un catalpa vieux de 1 300 ans. Cette année, c’est en mai qu’il reprendra le chemin de ce site historique, attiré par les images d’une mer de pivoines, de rosiers et de roses de Chine partagées sur Xiaohongshu (plateforme de réseau social chinoise).
Cette attirance pour les paysages floraux n’est pas anodine. Alors que de nombreuses villes ont vu leur fréquentation touristique baisser après la fête de Printemps, certains lieux où le printemps s’éveille tôt ont continué d’attirer les visiteurs. À Hangzhou, les fleurs de chimonanthe précoce ont ainsi maintenu l’effervescence.
Qunar, plateforme de voyage en ligne très influente, révèle que le nombre de recherches liées à la randonnée florale entre février et début mars 2025 ont plus que triplé par rapport à l’année précédente. Fliggy, plateforme de services touristiques, rapporte quant à elle une multiplication par cinq de l’attention des internautes pour cette activité depuis le mois de mars, avec Hangzhou, Shanghai, Nanjing, Beijing, Wuhan, Guangzhou, Xi’an, Chongqing et Chengdu en tête des recherches.
Cette tendance s’observe aussi dans les comportements des voyageurs. Zhao Xi, un habitant de Beijing, en est l’illustration. Pour la deuxième année consécutive, il a choisi de passer les vacances de la fête Qingming dans l’arrondissement de Jizhou, attiré par ses poiriers en fleurs. « Les parcs urbains sont souvent bondés, ce qui gâche l’expérience », explique-t-il. Préférant des paysages plus tranquilles, sa famille a opté pour une auberge en montagne, entourée de poiriers centenaires. Un cadre idéal pour des photos en costume traditionnel, loin de la foule.
Les chiffres récemment publiés par le ministère de la Culture et du Tourisme témoignent du dynamisme du secteur touristique chinois durant les congés de Qingming. Avec 126 millions de voyages intérieurs en trois jours, soit une augmentation de 6,3 % par rapport à 2024, et des recettes touristiques atteignant 57,55 milliards de yuans (+6,7 %), cette période confirme l’attrait croissant pour les escapades printanières.
La couronne de fleurs, un accessoire populaire du village de Xunpu à Quanzhou (Fujian), attire de nombreux touristes, le 9 mars 2025.
Pétales et profits
Partout en Chine, les destinations rivalisent d’ingéniosité pour transformer ces paysages éphémères en leviers de développement durable.
À Shanyang (Shandong), le 16e Festival des fleurs de poirier illustre cette dynamique. La zone pittoresque de Bolushan, qui attire désormais plus de 100 000 visiteurs par an, a su créer un écosystème économique complet autour de ce festival. Au-delà des traditionnels revenus liés aux entrées et à la restauration, atteignant près de dix millions de yuans, les villageois ont développé une véritable valorisation des floraisons. L’innovation se manifeste dans des créations culinaires originales comme les boulettes farcies aux fleurs de poirier et des gâteaux avec des pétales, tandis que des produits culturels tels que des épingles à cheveux en bois de poirier enrichissent l’offre. Cette approche permet d’attirer les visiteurs, de créer des emplois et d’augmenter significativement les revenus des populations rurales.
Au-delà de leur beauté éphémère, les paysages floraux sont devenus le terreau fertile d’une économie plurielle. L’approche « fleurs + » ne se contente plus d’offrir un spectacle naturel, mais cultive une expérience touristique complète où chaque pétale porte en lui le germe des opportunités économiques. Cette mutation qualitative se nourrit d’innovations constantes : cueillettes, auberges de charme, ou encore ateliers mettant en valeur le patrimoine. Ces initiatives transforment la simple visite en immersion durable, comme en témoigne l’explosion de 120 % de l’intérêt pour les circuits combinant randonnée florale et patrimoine culturel.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les réservations dans le tourisme rural au printemps 2025 ont bondi de 52 %, les zones rurales ont accueilli 707 millions de touristes, générant 412 milliards de yuans de recettes. Plus qu’un engouement passager, c’est un écosystème entier qui s’épanouit, employant 7,12 millions de personnes (en hausse de 2,2 % sur un an).
Des exemples fleurissent à travers le pays : le labyrinthe de fleurs de colza dans le district de Tonglu (Zhejiang), les champs de fleurs de colza sur l’eau s’étendant sur 10 000 mu (1 mu = 1/15 ha) dans le bourg de Qianduo (Jiangsu), les séances photo parmi les poiriers dans le district de Jinchuan (Sichuan) et les défilés de hanfu (vêtement traditionnel chinois) dans les jardins de pivoines à Heze (Shandong). De plus en plus de régions intègrent l’économie florale dans leur planification de revitalisation rurale, transformant les paysages en leviers de prospérité durable.
Des produits floraux créatifs au Jardin botanique national de Chine, à Beijing, le 11 avril 2025
Un terreau pour le développement culturel
L’économie florale dépasse largement le cadre d’une simple mode saisonnière. Elle stimule aujourd’hui le développement urbain et rural où se mêlent patrimoine culturel, innovation touristique et rajustement du système industriel.
Le 20 mars, le Bureau municipal de Beijing pour la culture et le tourisme a publié pour la première fois la liste de dix sites printaniers emblématique de la capitale, tels que le Temple du Ciel, le Palais d’été, la Cité Interdite, l’Axe central de Beijing ou encore la Grande muraille.
L’économie florale ne se limite plus aux simples balades parmi les fleurs. Elle s’enrichit désormais d’une dimension culturelle qui en prolonge l’éclat bien au-delà de la saison. À Beijing, musées et parcs ont saisi cette opportunité en lançant des collections de produits de création culturelle inspirés du printemps. Le Musée d’art de Beijing en est la parfaite illustration avec ses magnets représentant les magnolias et les bégonias de sa cour qui ont généré plus de 200 000 yuans de ventes en seulement deux jours.
Shanghai, quant à elle, a choisi d’élever sa fleur emblématique, le magnolia blanc, au rang d’ambassadeur culturel. En transformant cette espèce éphémère en une véritable marque, la ville lui offre une présence permanente dans son paysage urbain. À travers des discussions multipartites, Shanghai cherche comment ancrer cette fleur dans son identité culturelle, faisant d’un symbole naturel un vecteur de lien social et de créativité touristique.
Ce printemps, Kaisiling, célèbre pâtisserie chinoise, a collaboré avec le célèbre peintre contemporain Xu Jinping, pour incorporer des éléments du magnolia blanc dans ses deux nouveaux gâteaux. Comme l’explique Chen Fengping, gardien des techniques de fabrication de Kaisiling, c’est la première fois que cette marque expérimente l’intégration artistique interprofessionnelle, prouvant que l’influence des floraisons peut se prolonger bien au-delà de leur courte saison.
Cette évolution transforme progressivement l’économie florale. Elle est devenue une industrie composite englobant la création de marques culturelles, les expériences technologiques et l’extension de la chaîne industrielle. Ces innovations démontrent comment cette économie stimule désormais à la fois le développement rural et la transformation des modes de consommation.