Au fin fond des montagnes du Guizhou, chaque fil de soie est porteur d’histoire. Si l’ethnie Miao n’a jamais élaboré de système d’écriture unifié au cours de son histoire, ses tenues colorées sont comme des livres d’histoire. La broderie Miao est un artisanat ancien dont les aiguilles sont des pinceaux et le fil, de l’encre. Ses couleurs vives, reflet de l’admiration des Miao pour la nature, sont une ode à la vie. La broderie Miao du Guizhou, populaire dans les villages de Qiandongnan, de Qianxinan, d’Anshun et de Bijie, existe sous d’innombrables variantes en raison des différences régionales et stylistiques. Les brodeuses utilisent toute la palette de leur savoir-faire pour raconter mythes et légendes, mais aussi décrire des faits historiques et des paysages naturels sur des pièces de brocart et des vêtements. Chaque point et chaque fil renferment ainsi de riches informations culturelles.
Le secteur de la mode se tourne depuis quelques années vers la culture des minorités ethniques. Zhang Liyue, issue de la génération Z, surfe sur la vague de la nouvelle esthétique chinoise en faisant sortir la broderie Miao de ses montagnes natales pour la faire rayonner dans le monde. Les vestes brodées que cette jeune femme de l’ethnie Miao a conçues sont prisées des collectionneurs nationaux et étrangers. « C’est de l’artisanat haut de gamme que l’on peut porter à même le corps », ont même remarqué des fashionistas hors de Chine.
Vestes Miao exposées à la boutique Aduo
Intégrer les totems dans l’esthétique quotidienne
Zhang Liyue a grandi dans un village Miao du Guizhou. Pour elle, la broderie Miao évoque les bordures de vêtements ornées de papillons dans ses souvenirs d’enfance, mais aussi les fils de soie brillants dans la boîte à couture de sa mère. Sa grand-mère et sa mère ont commencé à collectionner et à vendre de belles broderies Miao lorsqu’elles étaient jeunes. Dès lors, elle a suivi la voie de ses aînées et appris aux côtés d’artisans les savoir-faire traditionnels tels que la broderie Miao, le papier découpé et le batik.
Après avoir obtenu son diplôme universitaire, Zhang Liyue est allée travailler à Guangzhou et à Shenzhen dans le marketing de marque, faisant des présentations de conception visuelle, de la photographie et de l’assortiment de tenues. Inquiète du développement de la mode éphémère, elle a commencé à réfléchir au développement et au positionnement sur le marché de tenues ethniques traditionnelles. Contemplant la broderie de son Guizhou natal exposée dans un musée à Paris, elle a soudainement compris que la broderie Miao ne devait pas simplement s’afficher dans des expositions ou être un folklore statique, mais devenir un symbole vivant du patrimoine culturel et s’intégrer dans la vie quotidienne du plus grand nombre. Elle a donc quitté son emploi en 2023 pour se consacrer à la transformation de ce patrimoine, afin d’en faire un élément phare de la garde-robe des jeunes.
Zhang Liyue est retournée dans sa ville natale de Kaili. Elle a d’abord travaillé à la boutique Aduo, écrin familial où se perpétue l’art séculaire de la broderie Miao, puis a créé XUYI, sa marque personnelle. Au début, elle a été surprise par les difficultés. La broderie Miao exige un travail minutieux, et sa délicatesse et sa complexité sont aux antipodes de la plupart des vêtements modernes qui nécessitent précision, rapidité et économie, et doivent être à la fois beaux et pratiques. Le caractère parfois imposant des tenues traditionnelles brodées des Miao semble incompatible avec le rythme de vie des jeunes citadins. Chaque fois que des clients lui demandent si les tenues peuvent être portées à l’extérieur, Zhang Liyue les met d’abord au contact des matériaux, qu’il s’agisse de la soie naturelle ou de la soie xiangyunsha (soie gommée) avant de leur conseiller ce qui leur siéra le mieux.
Avec le temps, Zhang Liyue a finalement positionné la marque XUYI en prenant appui sur la nouvelle esthétique chinoise pour briser la frontière entre tradition et modernité. Elle a conservé les totems traditionnels et les motifs de broderie Miao, tout en incorporant des détails dans les pièces plus élaborées, en simplifiant la conception pour rendre la tenue plus pratique, et en utilisant la couture et le design de mode modernes pour créer des gilets, des manteaux, des châles, des écharpes, des chapeaux et d’autres accessoires du quotidien. Ces vêtements sont distinctifs sans être ostentatoires, permettant à celui qui les porte de dégager naturellement un charme oriental, en ville comme dans les champs et les parcs.
Vestes Miao exposées à la boutique Aduo
De la haute couture orientale avec âme
« Ce qui m’impressionne le plus dans la broderie Miao, c’est sa capacité à raconter des histoires avec une aiguille et du fil », explique-t-elle. « Les Miao croient que toute chose possède un esprit, et que les montagnes, les rivières et les plantes ont toutes une âme. Pour nous, la broderie Miao est une lettre d’amour écrite par nos ancêtres à la terre. » C’est pourquoi elle a insisté pour utiliser les techniques de broderie plate et de broderie de graines les plus traditionnelles pour remettre au goût du jour les totems Miao tels que Mère Papillon, Étoile migratrice et Scènes agricoles, et les mettre en exergue sur les tenues de style chinois avec une touche contemporaine, leur donnant ainsi une âme que la broderie à la machine ne peut reproduire.
« Nos articles les plus distinctifs et les plus populaires parmi les clients étrangers sont les vestes brodées Miao avec les totems », souligne Zhang Liyue. « Ce sont les plus emblématiques des vêtements hautement élaborés. Le style est simple et soigné, et les points sont si fins que l’on peut apprécier l’éclat du fil de soie. Les récits de la mythologie Miao, les scènes agricoles, les fleurs, les oiseaux, les poissons et les insectes ornent la tenue, donnant à celle qui la porte la sensation d’être enlacée par la nature. » Des motifs qui rappellent les tableaux de Picasso, mystérieux et pleins de vitalité, selon une cliente française venue visiter la boutique. « La broderie Miao n’est pas un vêtement étrange, mais plutôt un article haut de gamme. » Des clientes japonaises ont même spécialement personnalisé une paire de leggins brodés à la main pour les assortir à une jupe moderne.
Zhang Liyue (d.) et deux brodeuses au marché d’un village Miao
Un vent de modernité sur le patrimoine culturel immatériel
La broderie Miao apparaît depuis quelques années fréquemment dans les semaines de la mode et les expositions d’art internationales. De nombreux héritiers du patrimoine culturel immatériel qui travaillent dans le secteur de la broderie Miao ont intégré le charme traditionnel à l’esthétique et à la technologie modernes, favorisant ainsi la fabrication et la modernisation du patrimoine culturel immatériel. Pan Yuzhen, héritière du patrimoine culturel immatériel de la broderie Miao du Guizhou, a présenté ses créations à la Semaine de la mode de Milan. La marque de vêtements ethniques GAX a combiné la broderie Miao avec les tendances Street Fashion à la Semaine de la mode de Londres, et a même pris des commandes sur place. Et Long Luying, héritière du patrimoine culturel immatériel de la broderie Miao du Guizhou et présidente de la société Wushui Yuntai Tourism Product Development, a travaillé avec une équipe technique de l’Université du Guizhou pour créer la Plateforme numérique de broderie Miao, en analysant et en traitant des données recueillies et numérisées, et en se servant de l’intelligence artificielle et d’autres technologies pour bâtir un projet de promotion qui combine patrimoine culturel immatériel et technologie. Long Luying a innové avec la marque de vêtements Jeanswest et le designer Huang Gang en matière de technologie d’impression 3D et de matériaux en fibres biosourcées et respectueux de l’environnement pour gaufrer les motifs de papillons de la broderie Miao.
Les pratiques des brodeuses qui l’ont précédée ont inspiré Zhang Liyue, ce qui l’a convaincue que si l’artisanat ancien devait survivre, il était nécessaire à la fois de préserver l’âme de la culture et d’explorer de nouvelles voies de développement. En plus des pièces élaborées qui peuvent être collectionnées, son atelier tente également de développer des objets quotidiens plus légers, tels que les porte-clés et les décorations de sacs à dos incrustés de pièces de broderie, ainsi que les coffrets cadeaux et les sets à thé. De cette façon, la broderie Miao fait discrètement son entrée dans le quotidien des citadins. Cette année, Zhang Liyue a également commencé à expérimenter l’incrustation de totems sur des meubles et des accessoires de maison. Elle utilise des éléments de broderie Miao pour concevoir des installations d’éclairage, faisant de ce patrimoine une exposition mobile.
« Plutôt que de simplement vendre des produits, je souhaite partager la façon dont l’ethnie Miao s’intègre au monde », dit-elle, prévoyant de poster des vidéos courtes pour raconter les histoires que les brodeuses tissent au bout de leurs doigts et partager l’inspiration dans l’assortiment des motifs des habitants de la chaîne montagneuse de Miaoling. XUYI compte par ailleurs travailler avec davantage de brodeuses pour de nouvelles créations, créer des emplois et contribuer à la revitalisation rurale. Mais ce n’est que le début pour Zhang Liyue qui se considère comme « un jeune arbre avec ses racines fermement plantées, ses branches et ses feuilles tournées vers le soleil, et grandissant lentement pour devenir un arbre imposant ».