Culture

Les traces du passé
By WANG XI* | La Chine au présent | Updated: 2024-03-20 16:45:00

Des touristes visitent le Musée du site de Jinsha à Chengdu (Sichuan).  

Au musée du site archéologique de Jinsha, situé au nord-ouest de Chengdu (Sichuan), les visiteurs sont fascinés par les vestiges sacrificiels. Dans la salle dédiée, une vaste terrasse, inégale et marquée par le temps, s’étend sous nos yeux. Au cœur de cet espace, les couches de terre accumulées, témoignant de huit époques différentes, cohabitent avec des bois de cerf et des défenses de sanglier enfoncés dans le sol et témoignent de l’histoire lointaine de nos ancêtres.

Ces empreintes urbaines, découvertes dans la plaine de Chengdu, constituent aujourd’hui les racines de la culture locale. Elles reflètent non seulement le développement matériel de la ville, mais aussi la compréhension et l’imagination du monde par les habitants. Ayant façonné le « tempérament » de Chengdu, elles sont désormais une précieuse ressource culturelle.

L’imagination du monde 

Les fouilles archéologiques du site des ruines de Sanxingdui, à Guanghan (Sichuan), ont été relancées en 2020, soit 34 ans après la fouille des fosses sacrificielles n° 1 et n° 2. Cette fois-ci, des objets provenant des fosses n° 3 à n° 8 ont été ramenés à la lumière du jour.

Lors de la visite du nouveau bâtiment du musée de Sanxingdui ouvert au public en 2023, les touristes seront émerveillés par les masques et les statues en bronze comme la Grande figure debout, dont la beauté émane d’une sérénité et d’une solennité captivante. Les objets représentant des arbres et des oiseaux divins, tout aussi impressionnants, révèlent sans détour la croyance animiste du peuple de l’ancien royaume Shu.

En 1986, deux arbres divins de grande taille et quatre plus petits avaient été découverts à Sanxingdui, et un autre l’a été en 2022. En raison des défis techniques considérables, seul un grand arbre divin découvert en 1986 a été restauré. Il s’agit de l’« Arbre divin en bronze n° 1 », visible aujourd’hui au musée de Sanxingdui. Il a trois étages de feuillage, chacun comportant trois branches. Les fleurs et les fruits pendent ou pointent vers le ciel le long de ces branches, tandis qu’un oiseau se tient sur l’une d’elles. Au total, neuf branches composent cet arbre. Sa base, en forme de cône rappelant une colline, accueille un dragon dont la queue s’élève au-dessus du dos.

L’association de l’arbre, de l’oiseau et du dragon confère à cet artefact en bronze un mystère sans égal. Selon la légende, un arbre divin est capable de relier le ciel et la terre et de rendre possibles les échanges entre les humains et les dieux. La communauté archéologique affirme que l’« Arbre divin en bronze n° 1 » est une représentation vivante de ces concepts anciens.

Tout comme les vestiges de Sanxingdui, ceux de Jinsha, qui leur sont postérieurs et assument une continuité culturelle, recèlent de nombreux trésors. Parmi eux, des masques en or et des feuilles d’or en forme de grenouille et de losange racontent l’appréhension du monde, de la nature et de l’univers par le peuple de l’ancien royaume Shu.

Une tête d’homme en bronze portant un masque d’or au Musée de Sanxingdui  

L’un des objets en or exhumés à Jinsha est particulièrement célèbre : l’ornement en or du soleil et des oiseaux immortels, posé sur du tissu rouge dans la salle d’exposition du musée du site de Jinsha. Malgré sa taille modeste, comparable à celle d’une paume de main, sa lumière dorée éblouit les regards. Selon les archéologues, le peuple de l’ancien royaume Shu vénérait le soleil et croyait que le mouvement du soleil était lié au vol des oiseaux. Cet ornement en or est le reflet de cette idée. La boule de feu tournante au centre symbolise le soleil, les quatre oiseaux représentent les quatre saisons, et les douze halos évoquent les douze mois de l’année ou les douze « heures doubles » d’une journée (un système ancien de division du temps en Chine). Le peuple de l’ancien royaume Shu a ainsi représenté le mouvement des étoiles et l’alternance des saisons à travers ce trésor précieux, nous émerveillant par leur imagination exceptionnelle et leur savoir-faire exquis.

Les traces de la civilisation 

En 2001, sur un chantier de construction dans le village de Jinsha, à la périphérie nord-ouest de Chengdu, les ruines de Jinsha ont été découvertes, levant davantage le voile historique qui planait sur l’ancien royaume Shu. S’étendant sur une superficie de plus de 5 km2, le site de Jinsha comprend une zone sacrificielle, des édifices, des habitations et une nécropole, faisant de lui un site urbain relativement complet.

L’importance de ces ruines urbaines est indéniable. Selon des universitaires chinois, la ville est le produit du regroupement humain ayant atteint un certain niveau de développement. Les travaux de construction à grande échelle comme les remparts témoignent de la stratification du regroupement humain, de l’émergence du pouvoir public et de la division entre les zones urbaines et rurales. Tout cela marque l’avènement de la civilisation à cette époque. En nous appuyant sur ces concepts pour étudier les fouilles des ruines urbaines, nous pouvons mieux comprendre, voire réexaminer le processus de civilisation dans la plaine de Chengdu.

Si l’on se réfère aux documents des dynasties Qin (221-207 av. J. C.) et Han (202 av. J. C.-220), la région où se trouvait l’ancien royaume Shu était considérée comme une terre barbare. Elle n’aurait été civilisée que lorsque la dynastie Qin l’annexa et la plaça sous l’administration centrale. Cependant, les découvertes archéologiques des sites de Sanxingdui, de Jinsha et des villes préhistoriques dans la plaine de Chengdu ont infirmé cette thèse.

À partir des années 1990, huit sites de villes préhistoriques ont été mis au jour dans la plaine de Chengdu, dont le plus emblématique est celui de la ville antique de Baodun. Cette découverte a permis de remonter l’histoire de la ville de Chengdu sur plus de 2 000 ans, jusqu’à il y a 4 500 ans. Dans le centre d’exposition du site de Baodun, ouvert en 2022, une carte attire particulièrement l’attention des visiteurs : elle révèle l’emplacement des huit villes antiques, qui constellent la région en résonance avec les sites de Jinsha et de Sanxingdui. Ces vestiges nous racontent l’évolution des villes et de la civilisation dans la plaine de Chengdu.

Des fragments de poterie comportant des gravures de vagues au Centre de restauration du patrimoine culturel, sur le site de la culture de Baodun  

La valorisation des sites historiques 

En juin 2023, le Musée de Chengdu a inauguré une exposition de photos mettant en lumière les nouvelles découvertes issues de 11 sites archéologiques du Sichuan. Elle s’attache à insuffler une nouvelle vie aux vestiges, les intégrant dans l’existence des citadins, tissant des liens entre passé et présent, tradition et modernité. Cette démarche revêt une importance cruciale pour le développement urbain.

Chengdu, depuis longtemps, se distingue par sa créativité dans la mise en place de musées dédiés aux ruines, cherchant à harmoniser conservation et exposition. Le nouveau bâtiment du musée de Sanxingdui en est un exemple remarquable. Sa silhouette incurvée évoque les ondulations d’une vague, tandis que sa façade beige incarne la beauté de la simplicité primitive. L’inclinaison du bâtiment donne l’impression qu’il émerge lentement de la terre. Selon Liu Yi, architecte et concepteur en chef du bâtiment, cette forme s’inspire des « yeux » des masques en bronze de Sanxingdui. À l’atrium du bâtiment, une rampe en spirale descend du premier étage au sous-sol, plongeant les visiteurs dans une atmosphère mystérieuse avant d’accéder aux salles d’exposition. Notons que la rampe du vieux bâtiment du musée de Sanxingdui était en spirale ascendante, exprimant un culte au ciel et à la nature. La spirale du nouveau bâtiment, s’allongeant vers le bas et répondant à l’ancien édifice, évoque l’exploration de l’origine de l’ancien royaume Shu. Ainsi, un dialogue et un héritage se tissent entre ces deux époques, reliant les générations et préservant la mémoire des siècles passés.

Si l’on considère que les musées créent des tunnels spatio-temporels pour les visiteurs, alors les parcs, en mettant en valeur l’environnement des vestiges, renforcent le caractère public des sites de ruines et rapprochent les gens de l’histoire.

Le parc des vestiges de Donghuamen à Chengdu, inauguré en 2023, porte l’histoire de la ville depuis la dynastie Qin jusqu’à la période moderne. Les différentes méthodes telles que la présentation de l’état original, la simulation, les panneaux informatifs et la restitution permettent aux visiteurs de mieux identifier les traces historiques tout en protégeant les vestiges. À proximité, le parc Mohechi dévoile le charme de la dynastie Tang (618-907). Ces parcs ne se contentent pas seulement de transmettre les informations historiques de la ville. Ils offrent aussi un espace public ouvert dans lequel les habitants peuvent se promener, courir et assister à des spectacles. Ces sites historiques millénaires, où coexistent histoire et vie moderne, sont désormais une scène pour les Chengdunais d’aujourd’hui, tissant un lien vivant entre passé et présent.

*WANG XI est journaliste à Chengdu Culture. 

 

Numéro 18 octobre-décembre 2023
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