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Du découplage à la reconnexion
By David Gosset | Dialogue Chine-France | Updated: 2021-04-12 11:46:00

Alors que les tendances historiques les plus profondes se déploient en grande partie indépendamment de tout individu, quil soit le commandant en chef de la plus grande puissance du monde ou nimporte qui dautre, les changements induits par lélection de Joe Biden en tant que 46e président américain ne doivent pas être surestimés. 

Cependant, par rapport à la politique de son prédécesseur immédiat, les réorientations que la nouvelle administration américaine opèrera seront importantes. 

 
La société Sogou fait son entrée à la Bourse de New York, le 9 novembre 2017. 

Faisant suite à un mandat structuré autour de lobsession de « lAmérique dabord », le nouveau chapitre ouvert par le président élu Joe Biden portera, à la fois sur la forme et le fond, sur la prééminence de la diplomatie. 

Dans ce contexte, lUE, la Chine et les États-Unis se trouvent alignés sur trois enjeux majeurs : le multilatéralisme, la gouvernance mondiale et la reconnaissance de la gravité de la crise climatique. 

Les nouvelles relations sino-américaines auront une influence sur le monde entier. 

Un virage positif 

Contrairement à Donald J. Trump, lancien vice-président de Barack Obama considère le multilatéralisme comme la méthode juste pour affronter les problèmes transnationaux de notre siècle. En restant à lécart de la logique de lunilatéralisme, lapproche de Joe Biden en matière de politique étrangère sera similaire à celle que préconisent lUE et la Chine. 

Avec un partisan de linternationalisme siégeant dans le Bureau ovale, le système des Nations Unies sera mieux placé pour répondre à lappel en faveur dune gouvernance mondiale plus efficace. La loi « Helms-Biden » rappelle que depuis son passage au Sénat américain, le sénateur du Delaware a toujours attaché une grande importance à lorganisation intergouvernementale. Dans le domaine de la gouvernance mondiale, les politiques des États-Unis, de lUE et de la Chine se renforceront mutuellement au profit de la communauté des nations. 

Le président américain de 78 ans a confirmé le 20 janvier, jour de son investiture, le retour de son pays au sein de lOrganisation mondiale de la santé, alors que lhumanité est confrontée à une pandémie mortelle. En tant que secrétaire dÉtat, Antony Blinken, dont les affinités avec la France sont bien connues, pourrait bien ramener son pays au sein de lUNESCO basée à Paris. Dans le domaine de la sécurité, une administration Biden pourrait également bien rejoindre le Plan daction global conjoint, le cadre de laccord nucléaire iranien qui fut signé il y a 5 ans. 

Sur le défi à long terme posé par le dérèglement climatique, le 46e président américain incarne un virage positif qui rappelle la configuration géopolitique propice à lAccord de Paris de 2015. La nomination par Joe Biden de John Kerry comme son envoyé spécial pour le climat annonçait que les États-Unis rejoindraient lAccord de Paris. Ceci a également été acté le 20 janvier. 

Il est donc évident que dans les quatre années à venir, lambition de la Chine de construire une civilisation écologique, la volonté européenne dun « green deal » et ce que la campagne de M. Biden a présenté comme un plan pour une révolution énergétique propre et la justice environnementale rentreront en synergie et seront des sources de progrès pour lhumanité. 

Les différences politiques 

Cependant, lélection de Joe Biden ne peut être considérée comme garantissant des relations harmonieuses sur la longue durée entre les deux plus grandes économies du monde. 

Outre les questions habituelles que la nouvelle représentante américaine au commerce, Katherine Tai, négociera avec son homologue chinois, la nouvelle administration américaine devrait mettre laccent sur les différences politiques qui existent entre les deux côtés du Pacifique. Ce faisant, en particulier lorsquil convoquera le sommet mondial pour la démocratie dans les mois à venir, M. Biden sentourera de lUE, du Japon et de lInde, tout en laissant de facto la Chine à lécart. 

Dans les relations avec la Chine, la politique de Trump a été une tentative de découplage dur. Ce type de découplage que certains ont qualifié à tort de nouvelle forme de guerre froide a eu un impact sur la chaîne dapprovisionnement mondiale et dans le secteur technologique. 

Cependant, le découplage brutal de M. Trump na pas modifié la tendance à linterdépendance, caractéristique sous-jacente de notre époque. De plus, cela na certainement pas affaibli la Chine, dont léconomie a continué à croître alors que tous les autres membres du G20 sont entrés en récession en raison de la crise du COVID-19. 

Pour les analystes, que ce soit à Washington DC ou dans les capitales européennes, la séquence chinoise de M. Trump devrait servir de leçon, car elle montre que les déterminants de la renaissance chinoise sont largement internes au monde chinois, et ne sont certainement pas décidés à la Maison Blanche ou ailleurs. 

 
La Chine est une destination importante des exportations de soja et dautres produits agricoles américains. 

Pour le dire en dautres termes, seule une série de mesures chinoises erronées pourrait contenir un cinquième de lhumanité, mais lesprit de « réforme et douverture » empêche un tel scénario dadvenir. 

Dans le monde post-Trump, si linsistance de Joe Biden sur les différences idéologiques évoluait vers un découplage doux, cela ne mettrait pas fin aux interactions mondiales entre les entreprises et les populations, et ne ferait certainement pas dérailler le retour de la Chine à une position centrale. 

Une voie plus productive 

Cest dans une année fort triste de sinophobie, alimentée par la tentative de M. Trump de calomnier et disoler la Chine, que cette dernière a néanmoins pu parvenir à un accord sur le Partenariat régional économique global (RCEP) et conclure le tout aussi important accord global sur linvestissement avec lUnion européenne. 

Sous linfluence regrettable des échos sinophobes du mandat M. Trump, Joe Biden pourrait choisir de surjouer les différences politiques qui existent entre la Chine et lOccident. Sil sagissait dune tentative plus subtile de saper le développement de la Chine, cela naurait toutefois pas pour effet de neutraliser la force centripète de la renaissance chinoise. 

Pour la relation sino-américaine, il existe une voie plus productive que lUE peut aider à concrétiser. Une telle voie ne serait pas une simple variation sur le thème du découplage, mais serait un effort courageux pour se reconnecter avec sagesse. 

Une telle reconnexion présuppose que les diplomates chinois et américains œuvrent ensemble pour résoudre les problèmes de notre temps. Leur convergence autour du multilatéralisme, de limportance de lONU et de lurgence climatique offre une opportunité de sengager sur une voie inclusive, pacifique et durable. 

Le commerce peut également être un domaine pour se reconnecter judicieusement. Le Partenariat transpacifique (TPP) que Barack Obama a signé en 2016 a été, en tant que tel, un échec. Ayant évolué pour devenir lAccord global et progressif de partenariat transpacifique (CPTPP), il pourrait être un point de convergence pour les négociateurs chinois et américains. 

Le trumpisme a manipulé une fausse dichotomie entre nationalisme et mondialisme. Cette rhétorique fallacieuse a conduit au discours sur « lAmérique dabord » et au découplage. Il a également réduit le positionnement sur la Chine à deux caricatures simplistes : soit la posture irrationnelle anti-Chine, soit létreinte éhontée dun diable imaginaire. 

Dans la réalité plus complexe et nuancée de la communauté des nations, linternationalisme est leffort de combiner les intérêts nationaux légitimes avec la nécessité de garantir la paix et la prospérité partagée pour toute lhumanité. 

Une sage reconnexion sino-américaine est la reconnaissance du fait que les progrès au XXIe siècle dépendent de la capacité de lOccident à travailler avec la Chine et vice versa.  

David Gosset fondateur du Forum Europe-Chine et auteur de Limited Views on the Chinese Renaissance (2018), il a publié en 2020 China and the World (Il Mulino, Bologne) 

Numéro 12 avril-juin 2022
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