Voix des jeunes

L'IA indispensable au quotidien et dans l'enseignement
By ROMAIN HERNANDEZ* | Dialogue Chine-France | Updated: 2025-04-22 14:38:00

Depuis huit ans que je réside à Beijing, j’ai assisté à une transformation radicale de la société chinoise avec l’adoption massive et innovante de l’intelligence artificielle (IA). En tant que professeur de français et passionné de technologie, j’ai intégré l’IA dans presque tous les aspects de ma vie personnelle et professionnelle. Des recommandations d’achat en ligne aux taxis autonomes, en passant par la création de supports pédagogiques, l’IA est devenue bien plus qu’un outil. 

Vue du siège conducteur et des commandes d’un robotaxi, développé dans le cadre du projet Apollo Go de Baidu, à Wuhan (Hubei), le 1er août 2024 

Une révolution du quotidien 

Depuis quelques années, j’ai vu l’IA s’immiscer dans tous les aspects de ma vie quotidienne, au point de devenir un véritable assistant personnel. Le shopping en ligne Taobao est un parfait exemple, car les systèmes de recommandation basés sur l’IA me permettent d’optimiser mes achats en prédisant mes besoins avec une précision impressionnante. Grâce aux algorithmes avancés, je reçois des suggestions de produits adaptées à mes préférences et à mes habitudes de consommation, ce qui évite les achats inutiles et me fait gagner un temps considérable. De plus, les services de livraison intelligents assurent une expédition rapide et efficace, rendant chaque achat quasi instantané. 

Côté divertissement, les plateformes chinoises utilisent ici aussi des algorithmes sophistiqués pour me proposer des films, des vidéos et des musiques parfaitement alignés avec mes préférences. Les applications de streaming chinoises comme iQIYI et Tencent s’appuient sur des modèles d’IA pour analyser mes habitudes de visionnage et me recommander des contenus susceptibles de me plaire. Et dans les applications multimédia, l’IA me permet d’améliorer mes propres créations d’une manière déconcertante. En effet, lors de mes voyages, j’utilise des outils de retouche photo basés sur l’IA comme Meitu pour sublimer mes clichés en quelques secondes, corriger les défauts et même générer des effets artistiques dignes d’un professionnel. Il en va de même pour le montage de mes vidéos. Les fabricants chinois de caméras et de drones, tels qu’Insta360 et DJI, offrent désormais la possibilité de monter plusieurs vidéos automatiquement tout en ajoutant des effets et de la musique grâce à leurs applications. Auparavant, mes rares montages vidéo étaient très basiques en raison d’un manque d’inspiration ou de temps. 

L’IA s’intègre également dans mes interactions sociales quotidiennes. Grâce aux outils de traduction instantanée, je peux communiquer sans barrière linguistique lors de mes appels avec des locuteurs chinois. WeChat propose des traductions en temps réel dans les discussions, et avec certaines applications comme Sogou, il est possible de transcrire et de traduire automatiquement des conversations orales. J’ai ainsi pu améliorer mon intégration en Chine et d’interagir plus aisément avec les commerçants ou les administrations locales. 

Une autre innovation marquante est l’apparition des taxis autonomes, notamment à Wuhan, qui incarnent l’avance technologique de la Chine en matière d’IA appliquée aux transports. Angoissante, bien que fascinante au début, l’expérience de monter dans un véhicule sans conducteur devient même rassurante. En réalité, les capteurs et algorithmes assurent une conduite fluide et sécurisée, prouvant que cette technologie est déjà prête pour un déploiement à grande échelle. 

Les visiteurs découvrent les applications des exosquelettes lors de la 7e CIIE à Shanghai, le 6 novembre 2024. 

Un partenaire précieux pour l’enseignement 

L’IA est devenue un outil incontournable qui m’accompagne dans l’enseignement du français langue étrangère (FLE). Elle m’aide à créer des exercices sur mesure, à enrichir mes cours avec des contenus interactifs et à adapter mon enseignement aux besoins de mes étudiants. Grâce à des plateformes éducatives intégrant de l’IA comme ClassIn, je peux proposer par exemple des exercices oraux automatiquement notés par l’IA, qui évalue l’intonation, la vitesse et la compréhension. Je songe même dans le futur à utiliser des chatbots conversationnels qui simulent des dialogues en français pour aider mes étudiants à améliorer leur expression orale sans crainte du jugement, comme il en existe déjà en anglais. 

Pour la correction des productions écrites de mes étudiants, l’IA me permet d’analyser les erreurs récurrentes et de fournir un retour personnalisé, gagnant ainsi un temps précieux. L’IA facilite aussi la création de quiz et d’activités ludiques, rendant mes cours plus dynamiques et motivants. De même, je peux créer des listes de vocabulaire ou d’expressions utiles, ainsi que des questions pertinentes pour mieux préparer les élèves de haut niveau à débattre sur des thèmes spécifiques. 

Il faut néanmoins être conscient que ces outils automatisés de correction ne sont pas infaillibles et peuvent parfois manquer de nuances, surtout dans l’apprentissage d’une langue. Par exemple, l’IA a encore du mal à détecter des subtilités linguistiques, telles que les registres de langue ou l’ironie, ce qui nécessite toujours une intervention humaine pour un perfectionnement optimal. Par ailleurs, l’usage excessif de l’IA peut réduire l’effort cognitif des étudiants, qui doivent apprendre à l’utiliser intelligemment sans en devenir dépendants. Dans l’ensemble, je perçois l’IA non comme un concurrent, mais comme un assistant fidèle qui augmente nos capacités plutôt que de les remplacer. 

Perspectives et défis de l’IA en Chine 

Les infrastructures technologiques avancées de la Chine et la forte implication du gouvernement chinois confèrent à l’IA locale un avantage compétitif indéniable. 

Cet essor pose toutefois des questions éthiques, notamment sur la protection de la vie privée et la régulation de ces technologies. Le débat sur la surveillance numérique et l’utilisation de l’IA pour le contrôle social reste un sujet délicat et complexe. 

Par ailleurs, la compétition internationale impose des défis stratégiques, notamment dans les domaines de la recherche et du contrôle des infrastructures clés. La dépendance aux semi-conducteurs étrangers et les tensions géopolitiques sur les restrictions d’exportation de technologies avancées constituent des obstacles que la Chine cherche à surmonter par le biais d’investissements massifs en R&D. 

En définitive, l’IA est une force transformatrice que je considère comme un allié plutôt qu’une menace. Elle ne se substitue pas à l’intelligence humaine, mais l’amplifie, en libérant du temps et en optimisant les tâches répétitives. Mon expérience en Chine m’a permis de voir de près le potentiel de cette révolution technologique et de l’adopter pleinement. Je suis convaincu que son développement, s’il est encadré de manière éthique et responsable, apportera des avancées spectaculaires dans tous les domaines, de l’éducation à la santé, en passant par les transports et la recherche scientifique.  

*ROMAIN HERNANDEZ est enseignant de FLE à Beijing 

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