Société

Les vieux métiers au secours des bâtiments anciens
By XIA YUANYUAN* | Dialogue Chine-France | Updated: 2023-10-17 11:21:00
 

À l’entrée de l’atelier de Ye Changxian, qui se situe au mont Anle dans le district de Songyang, l’arôme du bois de sapin nous chatouille les narines. Sur l’établi se trouvent des scies, des ciseaux à bois, des rabots, des limes et des haches. M. Ye, âgé de 57 ans, est un charpentier local hautement respecté, qui a près de 40 ans d’expérience dans la rénovation des charpentes de bâtiments anciens. Il excelle dans l’assemblage tenon-mortaise, une ancienne méthode de construction en bois et de fabrication de meubles qui consiste à venir encastrer le tenon dans l’autre pièce, la mortaise. Ces deux pièces de bois vont être travaillées pour que l’une s’emboite dans l’autre. 

Depuis que le district ainsi que la ville de Lishui ont entamé l’Action de sauvetage de l’habitat ancien en 2016, M. Ye a participé à plus de 160 projets. « Je ne pensais pas que cet artisanat serait remis au goût du jour. » 

Pose de tuiles sur le toit d’une ancienne demeure du village de Lizhuang (Songyang) 

Les bâtiments anciens disséminés dans les villages traditionnels constituent le style historique rural unique de Songyang. La plupart ont été construits il y a un ou deux siècles et, bien qu’il s’agisse d’édifices à faible valeur patrimoniale, ils auront une valeur méritant d’être héritée. Avec le temps, la plupart de ces bâtiments anciens se sont néanmoins progressivement délabrés. 

Les artisans en charge de les rénover doivent non seulement avoir un savoir-faire exceptionnel mais aussi disposer d’un certain bagage culturel, en utilisant différentes méthodes qui tiennent compte de la valeur, de l’environnement humain et du statut historique des bâtiments. « Nous avons constaté que ce sont les villageois qui sont les plus attachés au village et les charpentiers locaux qui connaissent le mieux la structure des bâtiments anciens. » Ye Maosong, directeur exécutif adjoint du Bureau des bâtiments anciens des vieux villages du district de Songyang, explique que Songyang a formé plus de 2 000 artisans traditionnels et plus de 30 équipes, et que l’Action de sauvetage de l’habitat ancien a mobilisé plus d’un millier d’artisans. 

La renaissance des vieux métiers  

Les bâtiments ont le plus souvent été construits avec des matériaux locaux et par des charpentiers possédant sagesse et savoir-faire. C’est pour cette raison qu’ils étaient très demandés dans les bourgs et les villages. 

M. Ye a appris son métier à l’âge de 16 ans, en devenant d’abord apprenti pendant trois ans. Au début des années 1990, les murs en pisé et la charpente en bois ont été progressivement remplacés par le béton armé. Ses compétences de charpentier n’avaient plus aucune utilité. Il a dû prendre une nouvelle orientation pour vivre. À partir de 2008, avec l’essor des maisons d’hôtes, les maisons traditionnelles sont devenues populaires auprès des touristes, et la demande pour des charpentiers expérimentés a soudain bondi. M. Ye a repris son vieux métier et mis sur pied une équipe d’une trentaine d’artisans pour participer à l’Action de sauvetage de l’habitat ancien. 

Un charpentier à l’œuvre 

« Nous n’avons pas rénové de vieilles maisons depuis longtemps et nous étions un peu inquiets de savoir si nous pouvions le faire », remarque Zeng Ronghua, un artisan, disant qu’il avait été agréablement surpris de pouvoir rénover les vieilles maisons dans son village natal, mais tout le monde partageait la même inquiétude. 

Pour accroître le professionnalisme et faire en sorte que les artisans respectent strictement les principes architecturaux, Songyang a organisé en 2016 des formation pour les artisans spécialisés dans la rénovation du patrimoine et des bâtiments en invitant des experts de la protection du patrimoine au niveau provincial et national. Plus de 600 artisans spécialisés dans la menuiserie, la sculpture et la maçonnerie ont participé à cette formation dans tout le district. 

Rénover un « morceau de nostalgie »  

« Durant le processus de réparation, nous avons strictement respecté le principe consistant à rénover plutôt qu’à remplacer, tout en préservant autant que possible les éléments d’origine », précise M. Ye, ceci afin de préserver les éléments de base représentant les caractéristiques des habitations de Songyang, telles que les murs en pisé, les cadres en bois, les petites tuiles, les pignons à gradins et les blocs de pierre à la base des murs. Il faut aussi veiller à ne pas modifier arbitrairement l’apparence originale des maisons, tout en les rendant habitables. Telles sont les lignes directrices que les artisans doivent garder à l’esprit. 

Réfection d’une structure en pisé, une technique largement utilisée dans l’architecture chinoise ancienne (Photos fournies par le Musée de Songyang) 

M. Ye estime que le plus difficile réside dans la remise en état pour s’assurer que l’état d’origine ne soit pas altéré. « Les exigences étaient très strictes sur la taille du cadre d’une fenêtre, des tuiles du toit et même sur le style général », confie-t-il. Parfois, pour trouver les bonnes vieilles tuiles, les artisans doivent faire des dizaines de kilomètres pendant plusieurs semaines. Quant aux éléments remplacés en raison de la moisissure et de la pourriture, ils les entreposent pour servir de pièces de rechange. 

Au début, les villageois ne comprenaient pas qu’il fallait rénover et non pas remplacer, beaucoup pensant que c’était une démarche irresponsable. M. Zeng et son équipe ont donc dû convaincre les villageois par des actions concrètes. Sans toucher aux éléments caractéristiques des bâtiments, les artisans ont imperméabilisé les toitures, effectué le raccordement aux canalisations d’eau et d’évacuation des eaux usées, installé des compteurs électriques, des cuisines et des salles de bains pour améliorer le confort dans les vieilles maisons. « La protection et la rénovation permettent de conserver la mémoire et d’améliorer les conditions de vie », ce qui répond aux préoccupations des villageois. 

« Rénover une vieille maison, c’est réparer le cœur. Une vieille maison, chaque brique et chaque tuile est un morceau de nostalgie. Les artisans leur apportent une nouvelle vie par leur persévérance tout en conservant la nostalgie », constate Ye Maosong. 

Transmettre les vieux métiers  

La plupart des artisans de l’équipe de Ye Changxian ont plus de 50 ans. Le plus jeune est son fils Ye Yanjie, âgé de 27 ans. « Il y a trop peu de jeunes qui apprennent ce métier aujourd’hui, c’est un travail difficile et l’apprentissage nécessite deux à trois ans de travail. » 

Depuis les dynasties des Ming et des Qing, Songyang est le berceau des charpentiers, mais ces dernières années, les styles et les compétences de Songyang risquent de disparaître. Après le lancement de l’Action de sauvetage de l’habitat ancien, les charpentiers, les maçons, les plâtriers et les tresseurs de lanières de bambou reviennent dans les villages, mais la pénurie d’artisans hautement qualifiés et d’héritiers subsiste. 

Ye Changxian et son fils Ye Yanjie, 27 ans (Photo : Yu Xiangjun) 

Les autorités du district de Songyang ont décidé de leur faciliter la tâche. Depuis 2016, un nombre considérable d’artisans sont sélectionnés chaque année pour figurer dans la réserve de talents des « Artisans de Songyang » par le biais d’une planification au niveau gouvernemental. Ils ont reçu des certificats à l’issue de leur formation. À l’heure actuelle, 263 personnes de Songyang sont titulaires d’un certificat de formation pour la protection du patrimoine culturel, créant une réserve d’artisans et mettant en valeur la marque des « Artisans de Songyang ». 

En 2021, le Lycée professionnel de Songyang a commencé à répondre à la demande d’ouverture d’une filière professionnelle en génie civil (rénovation et reproduction des bâtiments anciens) en dispensant des formations pratiques en sculpture sur bois, en menuiserie et en maçonnerie. L’objectif est de former de jeunes artisans spécialisés dans la construction des bâtiments anciens. M. Ye, ainsi que d’autres artisans, y enseignent et s’y rendent une fois par semaine pour transmettre leur savoir à une quarantaine de jeunes, « dans l’espoir de transmettre ce vieux métier aux générations futures ».  

*XIA YUANYUAN • journaliste à La Chine au présent 

 
 
 
 
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