Société

La poésie derrière une décennie au service des pandas géants
By JAMES AYALA* | Dialogue Chine-France | Updated: 2023-07-12 13:07:00

« Il n’y a pas de mots pour décrire cela. De la poésie ! Ils auraient dû envoyer un poète. C’est si beau, si beau ! » Cette citation provient d’une scène du film Contact (1997), adapté du livre de l’astronome Carl Sagan, dans lequel le protagoniste, une jeune scientifique, traverse un trou de ver interstellaire et elle est témoin de la splendeur absolue de l’univers. À ce moment-là, elle est sans voix et à peine capable de murmurer quoi que ce soit dans son enregistreur. C’est un peu théâtral de dire cela, mais cette citation m’est venue à l’esprit plus d’une fois au cours de mes onze années de travail à la Base des pandas géants de Chengdu. Vous voyez, en tant qu’étudiant de premier cycle à l’université, j’ai étudié le jazz et appris à m’exprimer à travers la musique. Maintenant je regrette vraiment de ne pas avoir pris de cours d’écriture, car tout ce que j’écris ne rend pas justice à ce que j’ai vécu durant mes années de travail avec les pandas dans le Sichuan. 

James Ayala effectue un exercice de dressage à la Base de recherche sur l’élevage des pandas géants de Chengdu. 

J’ai commencé à travailler à la Base de recherche sur l’élevage des pandas géants de Chengdu en 2012. À l’origine, lorsque j’ai postulé, il a été convenu que je travaillerais pendant un an pour étudier le comportement animal au sein du département de recherche et que je collaborerais également avec le département de l’élevage dans le bien-être animalier, me concentrant sur l’amélioration de l’environnement et le dressage des animaux. Tout cela semblait clair et net à l’époque, mais je n’avais jamais prévu quelle aventure m’attendait. Un jour ou deux après avoir pris mon poste, après m’être installé dans mon bureau, avoir assisté à un tas de réunions et rempli des tonnes de paperasse pour les ressources humaines, j’ai eu mon premier moment de poésie. Mon collègue, Yuan Bo, m’a demandé de venir faire une séance de dressage par renforcement positif avec un panda géant. 

Après dix minutes de marche, nous sommes arrivés à la Maison des pandas géants nº 2 et nous sommes retrouvés nez à nez avec un jeune panda mâle nommé Mei Lan. Vus de loin, les pandas semblent petits et bien sûr très mignons. De près, Mei Lan était bien plus grand que ce à quoi je m’attendais. J’avais travaillé en étroite collaboration avec d’autres espèces de plantigrades auparavant, mais ce qui ressort le plus de Mei Lan, c’est l’énorme taille de sa tête et ses pattes massives. Je savais que son crâne avait évolué pour devenir extra-large afin de pouvoir supporter les puissants muscles nécessaires pour broyer le bambou, et que ses pattes étaient grandes à cause du pseudo-pouce qui les aide à tenir les bambous. Ce que je ne savais pas, ou ce à quoi je ne m’attendais pas, c’était à quel point les pandas étaient sympathiques, d’où la sensation de poésie que j’ai ressentie. Je n’avais jamais nourri de panda ni rencontré Mei Lan auparavant, et pourtant, une familiarité s’est immédiatement installée entre nous, un peu comme l’intuition que vous ressentez lorsque vous rencontrez quelqu’un pour la première fois et que vous savez tout de suite que vous serez amis. Il était patient, attentionné et doux, et a complètement changé ma vision de mon travail à la base. À ce moment-là, en un clin d’œil, je me suis décidé à rester et pour être honnête, mon travail n’a fait que s’améliorer à partir de là. 

James Ayala s’occupe d’un panda géant.  

En tant que chercheur, ma première tâche a été d’étudier les interactions mère-petit. En de rares occasions, les primo-parturientes peuvent rejeter leurs petits et nous devons par conséquent les faire élever par des mères adoptives. Je voulais voir si celles-ci traitaient les petits différemment de leurs propres petits. Pour ce faire, j’ai observé, enregistré et analysé les interactions entre deux mères, Ya Xin et Er Yato, avec chacun de leur propre petit, ainsi qu’avec des jumeaux qui avaient été rejetés par leur mère. Pendant des mois d’observations, je n’ai pas noté de différences significatives dans la façon dont les mères pandas s’occupaient de leurs petits par rapport aux petits adoptifs. Ce que j’ai observé, ce sont de nombreux moments d’allaitement incroyablement tendres, contrairement à la folie parfois chaotique des oursons qui luttent avec leurs mères. Je suis vraiment convaincu que voir un petit finir de téter et trébucher avec une moustache de lait pourrait faire fondre les cœurs les plus froids. C’est un défi d’être objectif et professionnel face à une telle bonté inimaginable. Ce que j’ai le plus aimé au cours de cette étude, c’est d’entendre le murmure que faisaient les oursons pendant l’allaitement. Cette vocalisation est la quintessence du confort infantile et m’a rappelé des souvenirs d’enfance, à l’époque où mes parents étaient ce qui comptait le plus au monde. 

Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, mon travail est un peu unique à la fois dans la base et dans le monde de la recherche. En raison de mon expérience pratique dans le dressage des animaux, j’emploie souvent cette compétence dans nos travaux de recherche. Par exemple, nous voulions étudier la reproduction de nos pandas mâles. Mon plan était d’utiliser le renforcement positif pour former tous nos jeunes pandas mâles afin d’effectuer des examens physiques sur eux sans anesthésie, et même d’effectuer des examens échographiques si nécessaire. Ce n’était pas une mince affaire étant donné qu’il s’agissait d’examiner les pandas dans ce qu’il y a de plus intime. Nous devions travailler en étroite collaboration avec nos pandas par le biais du renforcement positif. Cela signifie que nous entraînions les pandas en les récompensant chaque fois qu’ils se comportaient correctement, augmentant ainsi les chances qu’ils fassent ce que nous attendions d’eux. En utilisant cette méthode, nous avons pu gagner leur confiance, nouer des liens avec chacun d’eux, puis travailler en toute sécurité en équipe. Grâce à cela, presque tout est possible, y compris procéder à des examens corporels dans les zones intimes. 

James Ayala en plein travail de dressage 

La dernière partie de mes fonctions consiste à travailler sur l’amélioration de l’environnement. C’est un domaine très vaste qui concerne tout ce que nous fabriquons et fournissons aux pandas. Il a été prouvé que sans stimulus approprié, les animaux en captivité développent fréquemment des troubles du comportement qui peuvent avoir un impact sur leur santé et leurs capacités de reproduction. L’idée derrière l’amélioration de l’environnement, c’est alors fournir un cadre stimulant afin que les pandas puissent exprimer leurs comportements naturels. Cela équivaut à un animal heureux et en bonne santé, montrant des comportements heureux, sains et naturels. On peut le faire de différentes manières, de la création de jouets avec lesquels les animaux peuvent interagir, à la construction de terrains de jeux complexes à explorer. 

Lorsque nous construisons un nouvel habitat de panda, nous devons considérer chaque élément dans les moindres détails, y compris l’emplacement des bassins et des ruisseaux, jusqu’à l’emplacement de chaque arbre et rocher. Nous devons anticiper comment chacun de ces différents facteurs affectera leur comportement, y compris où ils se reposeront, se cacheront, joueront et mangeront. Nous devons également tenir compte de l’âge et du sexe de chaque animal. Cela demande un travail incroyable de planification, mais le résultat est de voir les pandas apprécier nos créations. Il y a toujours une atmosphère d’excitation au moment où un panda explore un habitat pour la première fois et c’est vraiment une expérience incroyable de savoir que vous avez travaillé directement pour améliorer la vie d’un animal. 

En décembre dernier, j’ai reçu le Prix Tianfu de l’Amitié, la plus haute distinction provinciale décernée à un étranger. Il va sans dire qu’être reconnu par le gouvernement pour faire le travail que j’aime, dans ma ville d’adoption, a une profonde signification personnelle. Je dois cependant souligner que même si ce prix récompense mon travail avec les pandas, je n’ai rien fait tout seul. En fin de compte, je ne suis qu’une petite partie de l’équipe de recherche et de la famille de la Base des pandas géants de Chengdu. Je ne peux pas exprimer à quel point je me sens privilégié de faire partie de cette équipe, la gratitude que j’ai pour mes collègues pour leur confiance et leur amitié, et enfin à quel point je suis fier de tout ce que nous avons accompli ensemble. La Base des pandas géants aurait vraiment dû embaucher quelqu’un de plus poétique !  

(Photos fournies par James Ayala) 

*JAMES AYALA est chercheur en comportement animal, Base de recherche sur l’élevage des pandas géants de Chengdu 

Numéro 16 avril-juin 2023
APN&CCPPC 2023
Fromages français au goût de Chine
Ya'an,dans l'intimité de pandas géants
Dunhuang : un trésor culturel et artistique du monde
Liens