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Les États-Unis et l'Europe doivent d'abord « dérisquer » pour contenir la Chine
By TIAN DEWEN* | Dialogue Chine-France | Updated: 2023-07-12 16:01:00

Le 19 mai 2023, le sommet du G7 s’est déroulé à Hiroshima, au Japon, et les médias ont souligné le fait que « contenir » la Chine avait été l’un des sujets importants du sommet. Le 31 mai, la 4e réunion ministérielle du Conseil du commerce et des technologies (TTC) UE-États-Unis s’est tenue à Luleå, en Suède, réitérant l’approfondissement de la coopération transatlantique pour « répondre aux risques relatifs aux investissements étrangers dans les technologies sensibles » et « répondre à la coercition économique », liés à la volonté de « contenir » la Chine. Ces deux réunions ont pleinement démontré les efforts conjoints des États-Unis et de l’UE dans ce sens et il semble que la Chine soit devenue le ciment qui renforce leur coopération. Les « faucons » qui préconisent une politique chinoise plus agressive en réponse à l’appel des États-Unis pourraient cependant gravement nuire aux pays européens. En avril 2023, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a déclaré après sa visite en Chine que l’UE ne recherchait pas le découplage, mais devait réduire sa dépendance économique vis-à-vis de la Chine afin de « dérisquer ».  Dans cette alliance avec les États-Unis pour « contenir » la Chine, l’Europe devrait sans doute également examiner attentivement ce que « dérisquer » signifie pour ses propres intérêts.

Des risques bien plus grands que les bénéfices  

Premièrement, « contenir » la Chine pourrait priver l’économie européenne d’un important moteur de croissance. Après la fin de la « Guerre froide », les pays européens ont progressivement formé un modèle de croissance à « double propulsion », soutenu par des approvisionnements énergétiques stables de la Russie et par la coopération économique et commerciale Chine-UE, assurant une croissance stable et à long terme de l’économie européenne dans une configuration économique mondiale changeante et complexe. Pendant la crise ukrainienne, deux oléoducs Nord Stream ont été sabotés et à l’avenir, il est prévisible qu’il sera difficile pour l’Europe d’avoir de nouveau accès aux ressources pétrolières et gazières russes. Dans ce contexte, si les pays européens nuisent davantage à la coopération économique et commerciale avec la Chine, ils seront non seulement confrontés au défi majeur du revirement des échanges, mais ils risqueront également de perdre la Chine, le plus grand marché en croissance au monde. 

Le président américain Joe Biden (d.) et d’autres dirigeants mondiaux lors du sommet du G7 à Hiroshima, le 20 mai 2023 

Deuxièmement, il est peu probable que l’Europe tire profit d’une intervention dans le conflit en Extrême-Orient. En tant que seule superpuissance au monde aujourd’hui, les États-Unis n’ont jamais caché leurs principes politiques fondamentaux, consistant à donner la priorité à leurs propres intérêts nationaux. Même en joignant leurs forces à l’Europe pour « contenir » la Chine, les États-Unis font de leurs propres considérations stratégiques l’objectif principal. Ainsi, dans la déclaration conjointe du sommet d’Hiroshima, les questions liées à la Chine mises en avant par le G7 se sont concentrées sur la situation dans le détroit de Taiwan, et impliquaient en même temps des questions liées à la mer de Chine orientale et à la mer de Chine méridionale, Hong Kong, le Xinjiang et le Tibet, alors que la question dont se préoccupent le plus les Européens, à savoir « dérisquer » la coopération économique et commerciale avec la Chine, n’a pas été prioritaire. La prévention de la « coercition économique » mentionnée dans la déclaration n’est en fait qu’un prétexte pour les États-Unis afin de pousser leurs alliés à « contenir » ensemble la Chine. Il n’y a pas de point de conflit géopolitique entre la Chine et l’Europe, et le maintien de la paix et de la stabilité en Extrême-Orient est dans l’intérêt de la Chine et de l’Europe. Pour les pays européens, l’alliance avec les États-Unis risque de générer un conflit géopolitique avec la Chine. 

Troisièmement, des efforts conjoints pour « contenir » la Chine ne réduiront pas le conflit d’intérêts entre l’Europe et les États-Unis. Les États-Unis tentent par exemple de « contenir » la Chine en termes d’économie, de commerce et de technologie par le biais du TTC UE-États-Unis, tandis que l’UE est davantage préoccupée par les frictions commerciales de longue date avec les États-Unis, notamment le contentieux commercial Airbus-Boeing datant de la présidence de Donald Trump et la question de la perception des taxes sur l’acier et l’aluminium. Pourtant, lors de cette réunion ministérielle, ces sujets n’ont pas du tout été à l’ordre du jour. Dans le même temps, l’UE espère que les États-Unis accéléreront le développement de normes communes dans le domaine des technologies propres et d’autres mesures de facilitation des échanges, tandis que l’objectif des États-Unis est de renforcer techniquement le blocus contre la Chine. En matière d’intelligence artificielle, les États-Unis et l’Europe revendiquent le droit de formuler des règles et le droit de s’exprimer dans ce secteur. Les États-Unis, actuellement en position dominante, tendent à formuler des règles basées sur les pratiques du secteur, tandis que l’UE veut en réglementer le développement. Le risque de contentieux économiques et commerciaux entre les deux parties à l’avenir est très élevé. 

Les États-Unis et l’Europe peuvent difficilement contenir ensemble la Chine  

Pour l’Europe, les risques à prendre en compte en s’associant aux États-Unis pour « contenir » la Chine vont bien au-delà. En fait, tant les États-Unis que l’Europe sont soupçonnés d’opportunisme lorsqu’il s’agit d’unir leurs forces pour « contenir » la Chine. Dans les domaines où il y a des conflits avec l’Europe, les États-Unis ont l’habitude de faire pression sur l’Europe en exagérant la « menace chinoise », l’obligeant à adopter une position conforme aux intérêts américains. De même, l’Europe espère obtenir des concessions des États-Unis en acceptant de « contenir » la Chine conjointement avec les États-Unis. Ainsi, le fait d’unir ses forces pour « contenir » la Chine n’est souvent qu’une carte dans le jeu entre les États-Unis et l’Europe, et les contradictions entre l’Europe et les États-Unis ne diminueront pas en faisant de la Chine un rival commun. 

Le stand d’Airbus au Salon aéronautique de Zhuhai 2022, le 9 novembre 2022 

En fait, les États-Unis n’ont jamais été un allié fiable. En tant que « grand frère » du bloc occidental, les États-Unis sont non seulement trop égoïstes, mais aussi trop instables. Sous l’administration de Donald Trump, les relations entre les États-Unis et l’UE ont touché le fond. Après la victoire de Joe Biden aux élections de 2020, les politiciens européens se sont précipités pour envoyer des messages de félicitations. Le désir de réparer les relations entre l’Europe et les États-Unis était devenu si urgent qu’il a primé sur l’étiquette internationale. Après le « retour en Europe » très médiatisé de Joe Biden, la dépendance sécuritaire, politique et économique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis a atteint un niveau sans précédent. Cela s’est fait en accrochant fermement l’Europe aux wagons de l’OTAN (dont la France, qui souhaitait une autonomie stratégique européenne, disait qu’elle était en état de « mort cérébrale) et en jetant de l’huile sur le feu dans les relations russo-ukrainiennes. Suite à cette vague de collaboration entre les États-Unis et l’UE, l’Europe a connu un exode massif de ses entreprises, une croissance économique faible et une inflation élevée. 

Les États-Unis utilisent désormais le G7 et le TTC pour entraîner l’Europe en utilisant la question de la Chine comme prétexte. Indépendamment de leurs souhaits subjectifs, il est prévisible que les pays européens seront objectivement davantage lésés dans leurs intérêts. Les Européens intelligents doivent en être bien conscients : la principale raison pour laquelle ils se montrent coopératifs avec les États-Unis dans le cadre multilatéral occidental est qu’ils sont fortement dépendants des États-Unis en termes de défense et d’économie, et n’ont ni la force ni la confiance pour faire preuve d’autonomie. Par ailleurs, certains politiciens européens envisagent de s’appuyer sur les États-Unis pour accroître leur influence internationale. Mais comme saper la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’UE n’est pas dans l’intérêt de l’Europe, il est à craindre que les États-Unis ne puissent pas compter sur le fait que les pays européens deviennent leurs vassaux. 

De nouveaux développements dans les relations sino-françaises  

Pour la Chine, ni l’Europe ni les États-Unis ne sont ses ennemis ; au contraire, ils peuvent devenir des partenaires pour promouvoir conjointement la paix et le développement dans le monde. La Chine souhaite que l’Europe puisse jouer un rôle indépendant et constructif dans le monde et veut continuer d’enrichir le partenariat stratégique global Chine-UE qui ne soit pas ciblé, non dépendant et non soumis à des tiers. Ce n’est pas seulement dans l’intérêt des deux parties, mais c’est aussi propice à la paix et à l’harmonie dans la région et dans le monde. 

Le président français Emmanuel Macron en visite à l’Université Sun Yat-sen, à Guangzhou, le 7 avril 2023 

En avril 2023, après une visite en Chine, le président français Emmanuel Macron a déclaré que l’énorme risque auquel l’Europe est actuellement confrontée est « d’être impliquée dans les crises des autres, ce qui empêchera l’Europe d’établir une autonomie stratégique ». L’Europe doit cesser de s’appuyer sur les États-Unis, résister aux pressions et ne plus être leur valet. Cela pourrait éventuellement devenir un choix stratégique pour la politique chinoise de la plupart des pays européens. Il a récemment été rapporté dans les médias que l’OTAN avait l’intention d’ouvrir un « bureau » à Tokyo pour accroître à plein temps la tension en Asie du Nord-Est. M. Macron a déclaré que si l’OTAN déplace son périmètre géographique, elle commet une grave erreur. La France est explicite, à savoir que mettre fin à de telles actions provocatrices inutiles. Ce qui doit être considéré comme une contribution positive à la paix régionale et mondiale. 

Après la visite du président Macron en Chine, les relations sino-françaises se sont rapidement améliorées pour devenir la locomotive des relations sino-européennes. Selon les données du ministère chinois du Commerce, au cours des cinq premiers mois de cette année, les investissements réels de la France en Chine ont grimpé de 429,7 %. En juin, lors de sa visite en France, le premier ministre chinois Li Qiang a rencontré M. Macron, qui a déclaré que la France attachait une grande importance aux relations franco-chinoises. Dans un monde en proie à de multiples défis, la France et la Chine doivent adhérer à un multilatéralisme efficace, promouvoir l’unité de la communauté internationale et améliorer la gouvernance mondiale pour avancer des solutions aux problèmes mondiaux. Cela montre que les politiciens européens, à la suite de M. Macron, ont clairement rejeté la possibilité de coopérer avec les États-Unis pour contenir la Chine au niveau politique. De plus en plus de pays européens partagent cette opinion. 

*TIAN DEWEN est directeur adjoint et chercheur de l’Institut Russie-Europe de l’Est-Asie centrale de l’Académie des sciences sociales de Chine 

Numéro 16 avril-juin 2023
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