Pour la plupart des pays, les tarifs douaniers ne constituent plus la principale source de recettes fiscales. La réduction des tarifs douaniers a été la tendance dominante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le président américain Donald Trump, qui se surnomme lui-même « Tariff Man », a déclenché un « tsunami » tarifaire au cours de son second mandat, brandissant une fois de plus le bâton tarifaire contre l’Union européenne (UE), exacerbant les conflits et les risques entre les partenaires économiques et commerciaux transatlantiques.
Vue du magasin Levi’s de Via del Corso à Rome, le 12 mars 2025. L’UE a annoncé l’imposition des droits de douane sur des produits américains emblématiques.
L’UE, en proie au double défi d’une forte inflation et d’un approvisionnement insuffisant en énergie fossile, et qui de plus n’est pas encore sortie de la crise géopolitique, se retrouve maintenant menacée de droits de douane élevés. L’UE, qui respecte les règles économiques et commerciales multilatérales, est maintenant à l’heure des choix. Le marché américain est-il si irremplaçable ? Sans doute est-il temps pour l’UE, qui cherche à réduire les risques, de diversifier ses relations économiques et commerciales.
Impact et contre-offensive
Le 5 mars, M. Trump a déclaré lors d’une réunion avec son cabinet qu’il avait décidé d’imposer des droits de 25 % à l’égard de l’UE, en mettant l’accent sur l’application de ces droits à tous les produits, y compris les automobiles. En réponse à cette menace, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a indiqué que l’UE « ne resterait pas les bras croisés » et que les 27 pays de l’UE riposteraient. Bernd Lange, président de la Commission du commerce international au Parlement européen, a également averti que les mesures commerciales précédentes n’avaient été que suspendues et qu’elles pourraient être facilement rétablies légalement.
L’UE avait ciblé des produits américains tels que les motos, les jeans, le beurre de cacahuète et le bourbon. Le 2 avril, M. Trump a annoncé l’imposition de « tarifs réciproques » et que les exportations de l’UE vers les États-Unis seraient soumises à une augmentation de 20 % des droits de douane. En réponse, Mme von der Leyen a déclaré dans un discours au Parlement européen que l’UE négocierait à partir d’une « position avantageuse » face aux États-Unis. « L’Europe dispose de nombreux atouts pour négocier, du commerce et de la technologie à la taille du marché, mais ces atouts dépendent également de notre détermination à prendre des contre-mesures décisives, et tous les outils sont sur la table », a-t-elle dit. Bien que M. Trump ait annoncé plus tard avoir autorisé une suspension tarifaire de 90 jours pour les pays qui n’ont pas pris de mesures de rétorsion, les exportateurs, y compris ceux de l’UE, sont toujours confrontés à des incertitudes assez complexes vis-à-vis des États-Unis.
Déchargement d'un porte-conteneurs au terminal de Barcelone, exploité par APM Terminals, le 13 janvier 2025
En fait, la réponse de l’UE est cohérente avec celle du premier mandat de M. Trump, lorsqu’elle avait imposé des droits de douane sur l’acier et l’aluminium en tentant de cibler les États américains à majorité républicaine ainsi que les produits américains traditionnels fortement dépendants des marchés étrangers afin de les rendre non compétitifs sur le marché européen.
Ces mesures commerciales dont M. Lange dit qu’elles pourraient être rétablies font référence aux actions conjointes menées par les États-Unis et l’Europe pour réduire les droits de douane sur leurs échanges respectifs sous l’administration Biden. Comparé à l’utilisation fréquente par M. Trump de décrets pour imposer des droits de douane à d’autres pays, le mécanisme plus complexe de détermination des tarifs douaniers de l’UE et sa forte dépendance au commerce extérieur ont conduit à une prise de décision inefficace et à des actions lentes. C’est sans doute pour cela que l’UE se retrouve dans une situation passive.
D’après les Perspectives économiques mondiales publiées par la Banque mondiale en janvier, on peut constater que le PIB réel de la zone euro a augmenté de 3,5 % en 2022, soit un point de pourcentage plus rapidement que celui des États-Unis, mais le taux de croissance de la zone euro a fortement chuté à 0,4 % et 0,7 % en 2023 et 2024, tandis que celui des États-Unis était de 2,9 % et 2,8 %. La Banque mondiale prévoit qu’en 2025, le taux de croissance des États-Unis (2,3 %) sera encore plus de deux fois supérieur à celui de la zone euro (1 %). Mais au moment de ces prévisions, M. Trump n’avait pas encore proposé d’imposer des droits de 25 %.
L’Europe ressent déjà les effets des tarifs douaniers. Henrik Adam, président de l’association européenne de l’acier Eurofer, estime que l’UE pourrait perdre jusqu’à 3,7 millions de tonnes d’exportations. La base de données Comtrade des Nations Unies montre qu’en 2023, selon les statistiques de l’UE, les exportations de l’UE vers les États-Unis s’élevaient à 535,85 milliards de dollars et les importations en provenance des États-Unis, à 366,15 milliards de dollars, soit une augmentation de 41,2 % et 39,2 % respectivement par rapport à 2013. Pour la période 2013-2023, le taux de croissance des exportations de l’UE vers les États-Unis et des importations en provenance des États-Unis a été respectivement de 21,8 et 18,1 points de pourcentage supérieur à celui d ses exportations et importations totales.
Les États-Unis sont l’un des partenaires commerciaux les plus importants de l’UE. En 2023, les exportations de l’UE vers les États-Unis ont représenté 19,4 % de ses exportations totales, soit 10,8 points de pourcentage de plus que ses exportations vers la Chine, et le même pourcentage que l’année précédente. De même, les importations de l’UE en provenance des États-Unis représentaient 13,5 % de ses importations totales, soit 7 points de pourcentage de moins que ses importations en provenance de Chine, mais 1,7 point de pourcentage de plus que l’année précédente.
Bien que la balance commerciale internationale globale de l’UE ait fluctué de manière significative entre 2013 et 2023, avec notamment trois déficits entre 2018 et 2023, elle a toujours maintenu un excédent à l’égard des États-Unis. Cet excédent s’est progressivement élargi, passant de 116,57 milliards de dollars à 169,70 milliards de dollars. Ces dernières années, subissant l’impact du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’UE a renforcé ses liens économiques et commerciaux transatlantiques, importé une grande quantité de produits énergétiques des États-Unis, et augmenté ses exportations vers les États-Unis en conséquence. Si les États-Unis imposent des droits de douane globaux sur les importations en provenance d’Europe, l’UE sera confrontée à des risques considérables.
Renforcer les liens avec le marché chinois
En 2025, le système économique et commercial mondial sera confronté à des défis majeurs liés à l’unilatéralisme et au protectionnisme. Nous devons prendre des mesures proactives face aux défis et, tout en ripostant, trouver de nouveaux modèles qui accélèrent le rééquilibrage des chaînes d’approvisionnement. La mondialisation économique est encore en évolution et le commerce international, en tant que moyen important pour que toutes les parties puissent échanger sur la base de leurs avantages, dispose d’une marge de croissance substantielle.
L’UE occupe une position unique dans les chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales, et son marché intégré a joué un rôle important dans l’optimisation de l’allocation des ressources au cours des dernières décennies. Le renforcement des liens avec les marchés, y compris la Chine, et le développement de la coopération économique et commerciale avec des partenaires commerciaux engagés à respecter les règles et l’ordre économiques et commerciaux dans le cadre multilatéral peuvent réduire efficacement les risques commerciaux auxquels l’UE est confrontée. Avant le début du premier mandat de M. Trump, la Chine et l’Europe avaient convenu de promouvoir l’ouverture des marchés, y compris les investissements.
Pour les deux géants économiques que sont la Chine et l’Europe, si un mécanisme de règles bilatérales stables peut être établi, les entreprises gagneront en confiance pour participer au développement et à la coopération à long terme, et joueront ainsi un rôle plus efficace. En fait, dans les secteurs émergents, notamment les véhicules à énergie nouvelle, l’économie numérique et l’intelligence artificielle, l’UE a non seulement la volonté de participer, mais dispose également de conditions favorables. Comme l’a dit Mme von der Leyen, l’Europe doit « réduire ses risques » et, à l’heure actuelle, le plus grand risque auquel elle est confrontée sur le plan économique est l’intervention des États-Unis dans les affaires commerciales et la dépendance excessive de l’UE à l’égard des échanges commerciaux avec les États-Unis.
Mais qu’il s’agisse d’énergie ou d’automobile, les États-Unis ne sont pas le seul partenaire mondial. Le renforcement de la coopération entre la Chine et l’Europe dans les domaines concernés, la réduction des restrictions sur la circulation des facteurs et la prévention des abus en matière de sécurité nationale fourniront aux marchés de l’UE des solutions plus efficaces, l’aideront à respecter son engagement à lutter contre le changement climatique et à promouvoir le développement durable de l’économie verte, et fourniront également au marché chinois davantage de produits européens de haute qualité.
Plus important encore, la coopération Chine-UE renforcera efficacement la stabilité du système commercial mondial, insufflera confiance et motivation dans le soutien des autres pays à la mondialisation économique et créera de meilleures conditions pour promouvoir un développement innovant avec un marché plus large et un consensus élargi.
Faisant suite aux messages positifs entre le Premier ministre chinois Li Qiang et Mme von der Leyen lors de leur appel téléphonique, le ministre chinois du Commerce Wang Wentao et le commissaire européen au commerce et à la sécurité économique Maroš Šefčovič ont tenu une vidéoconférence le 8 avril. Les deux parties ont eu des échanges de vues approfondis et francs sur le renforcement de la coopération économique et commerciale entre la Chine et l’UE et la réponse aux soi-disant « tarifs réciproques » imposés par les États-Unis, ce qui devrait apporter plus de certitude à la coopération entre la Chine et l’UE.
*ZHOU MI est chercheur à l’Académie chinoise du commerce international et de la coopération économique relevant du ministère du Commerce.