La technologie mondiale de l’intelligence artificielle (IA) est désormais entrée dans une période de développement rapide. Fin 2022, l’avènement de ChatGPT a généré une course mondiale dans l’IA générative avec l’émergence de produits comme Claude et Jasper. La Chine a obtenu des résultats exceptionnels dans cette révolution technologique mondiale. Fin 2024, DeepSeek, qui exploite un grand modèle de langage avec des milliards de paramètres de la société DeepSeek, a dépassé GPT-4 de 15 % en termes de capacité de raisonnement mathématique. Et cette année, 16 robots humanoïdes de Yushu Technology revêtus de vestes à fleurs ont été à l’honneur en présentant un programme précis et coordonné de danse folklorique chinoise lors du gala de la fête du Printemps.
Des jeunes s’immergent dans la technologie du métavers à grande échelle et visualisent l’évolution de la civilisation humaine à Optics Valley, le 28 novembre 2024.
Ces avancées montrent que l’IA chinoise est passée du laboratoire à l’avant-garde industrielle grâce à la combinaison de scénarios d’application à très grande échelle et de capacités d’ingénierie de systèmes, pour en faire un moteur essentiel du développement économique de haute qualité. Ce modèle économique d’innovation pilotée par des scénarios et de modernisation pilotée par l’innovation reconstitue la logique traditionnelle de croissance économique et insuffle une nouvelle vitalité à l’économie chinoise.
Pour un développement de haute qualité de l’économie
L’IA a accéléré le remodelage des facteurs de production. La croissance économique traditionnelle repose sur l’apport de main-d’œuvre et de capital, mais à mesure que le dividende démographique de la Chine s’estompe, le goulot d’étranglement des rendements marginaux décroissants des facteurs s’accroît. L’IA a ouvert une nouvelle voie pour récolter le dividende des données en les intégrant dans le processus de production. Selon le China Industrial Control Systems Cyber Emergency Response Team, le taux de contribution des facteurs de données à la croissance économique atteignait 14,7 % en 2021, avec une tendance à la hausse d’année en année. Ce modèle de croissance centré sur les données accélère la transformation de l’économie chinoise, passant d’une expansion d’échelle à une économie axée sur la productivité totale des facteurs.
Des ingénieurs de Zhiyuan New Technology entraînent des robots humanoïdes à recueillir des informations, à Shanghai, le 18 février 2025.
Par ailleurs, l’IA remodèle les chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales, permettant à la Chine de faire repartir vers le haut la courbe du sourire (représentation graphique qui analyse la répartition des activités d’une chaîne de production internationale en fonction de leur valeur ajoutée). Pendant longtemps, la valeur ajoutée du secteur manufacturier chinois s’est concentrée sur la transformation, tandis que la R&D et le marketing étaient aux mains des entreprises multinationales. La technologie de l’IA change cette situation et transforme même les points faibles de la chaîne industrielle chinoise en atouts. Des quantités massives de données industrielles sont devenues une base importante pour le développement de l’IA et ont accéléré sa mise en œuvre dans différents scénarios de fabrication. Par exemple, grâce à l’analyse des données, la société Haier a augmenté sa part de marché des réfrigérateurs haut de gamme dont le prix est supérieur à 14 000 yuans de 51,6 % en 2022 à 58 % en 2023. Autre exemple, avec l’introduction de robots humanoïdes, BYD a fait passer le taux d’automatisation de ses chaînes de production à 95 %, faisant même de la fabrication un élément de croissance des bénéfices.
Les données montrent qu’en 2023, la production de smartphones en Chine et le nombre de robots industriels nouvellement installés représentaient plus de 50 % de la part de marché mondiale. La part des secteurs émergents stratégiques dans le PIB chinois dépassait 13 %, ceux liés à l’IA contribuant à plus de 40 %. Ce changement confirme l’évolution de la théorie de la chaîne de valeur mondiale. La Chine est en effet en train de mettre en place un nouveau modèle de division du travail dans lequel la fabrication alimente l’innovation grâce à des percées dans les maillons à forte intensité technologique. Le pays passe ainsi du « Made in China » au « Smart Manufacturing in China ».
L’IA a de plus accéléré la création de forces productives de nouvelle qualité. Elle a généré le développement révolutionnaire de la gestion et de l’exploitation dans tous les secteurs industriels et engendré l’émergence continue de nouveaux produits et de nouveaux modèles commerciaux. Par exemple, la plateforme de livraison de plats cuisinés Meituan a développé un système de livraison par drone, qui a réduit le temps de livraison le plus rapide à 6 minutes 37 secondes. La société d’habillement Semir Clothing utilise des algorithmes d’IA pour réduire de moitié le nombre de jours de rotation de ses stocks. Enfin, des taxis sans chauffeur ont également commencé à circuler dans les rues de Wuhan.
L’IA permettrait selon des calculs d’augmenter la productivité totale des facteurs industriels de la Chine de 2,3 points de pourcentage par an, et sa contribution directe à la croissance du PIB atteindrait 0,8 %. Si l’inclusion technologique améliore l’efficacité économique, elle est également un instrument important pour réduire l’écart entre zones urbaines et rurales pour faire advenir la prospérité commune.
Des défis multiples à surmonter
Prenant appui sur sa base industrielle et de professionnels qualifiés, l’IA chinoise s’est développée rapidement même si des défis majeurs subsistent, notamment dans la R&D des microprocesseurs et la souveraineté des données.
La nature mobile des facteurs de données est en contradiction avec le critère d’excluabilité souveraine. Par exemple, les données de conduite autonome des véhicules à énergie nouvelle chinois peuvent être utilisées pour entraîner des algorithmes étrangers, ce qui complique la question de la propriété des données. Par ailleurs, les plateformes de réseaux sociaux internationales contrôlent le droit de diffuser des informations via les données comportementales des utilisateurs, créant ainsi une hégémonie technologique implicite. Enfin, les données médicales transfrontalières participent au traitement informatique conjoint par le biais de l’encryptage. Elles restent confinées aux frontières d’un pays et ne participent pas réellement à l’entraînement de modèles étrangers, invalidant ainsi le cadre juridique traditionnel.
Le fait que l’Union européenne renforce la souveraineté des données montre qu’un contrôle excessif peut freiner l’innovation. L’Initiative mondiale de sécurité des données proposée par la Chine a reçu un accueil positif de la plupart des pays. À l’avenir, il sera nécessaire d’accélérer la recherche d’un mécanisme d’équilibre dynamique entre ouverture et sécurité dans le cadre de la Loi sur la sécurité des données.
En outre, l’expansion des bulles d’innovation pourrait constituer une menace potentielle pour le développement de l’IA. Les collectivités locales lui accordent actuellement une grande importance, mais l’innovation, soutenue par les politiques publiques, peut générer une mauvaise allocation des ressources. Parallèlement, le marché des capitaux a affiché une tendance irrationnelle à privilégier les sociétés cotées proposant des concepts d’IA, mais se désintéresse des entreprises qui mènent véritablement des activités de recherche fondamentale. Dans une certaine mesure, cela reflète le déséquilibre structurel de l’écosystème de l’innovation.
Les avantages spécifiques de la Chine
Malgré les défis, les perspectives de la Chine en matière de développement de l’IA sont très prometteuses. Sa population de 1,4 milliard d’habitants et son statut de premier pays manufacturier au monde fournissent des données massives et des scénarios riches pour l’IA. En 2024, le nombre des livraisons instantanées et des livraisons express en Chine atteignaient respectivement 40 milliards et 174,5 milliards. Cette quantité massive de données permet aux algorithmes d’afficher une vitesse d’itération qui dépasse largement celle des laboratoires. Les robots Ubtech continuent d’optimiser leurs performances en usine, signe de l’effet multiplicateur de l’innovation pilotée par des scénarios. Un système industriel complet peut aussi soutenir l’application rapide des technologies. Cette capacité de relier directement le laboratoire à la chaîne de production est devenue un atout essentiel pour une intelligence à faible coût.
Le gouvernement chinois aussi coordonne le réseau national de puissance de calcul à travers le projet consistant à recueillir les données à l’est et les traiter à l’ouest de la Chine. Par ailleurs, Shenzhen légifère pour réguler l’éthique des algorithmes et le Centre international des mégadonnées de Beijing étudie les mécanismes de tarification des données. Les autorités à tous les niveaux continuent d’accroître leur soutien à l’IA et le marché boursier des start-up technologiques a ouvert un canal de financement rapide pour les entreprises de technologie dure. La combinaison de l’orientation politique et de la vitalité du marché permettra de promouvoir la modernisation globale des chaînes industrielles.
En résumé, l’IA transforme en profondeur la logique sous-jacente de l’économie chinoise. De la reconstitution des facteurs de production à la modernisation des chaînes de valeur mondiale, des forces productives de nouvelle qualité à l’amélioration des moyens de subsistance et du bien-être de la population, l’IA a généré de multiples effets d’autonomisation. À l’avenir, par l’indépendance technologique, la gouvernance moderne et l’innovation dans la recherche fondamentale, l’IA permettra à l’économie chinoise de réaliser un bond historique et de devenir une force motrice durable pour un développement économique de haute qualité.
*BIAN YONGZU est vice-rédacteur en chef de La modernisation de la gestion