Economie

Une version européenne de la Loi sur la réduction de l'inflation ?
By ZHAO YONGSHENG* | Dialogue Chine-France | Updated: 2023-04-10 16:13:00

Depuis l’adoption de la Loi sur la réduction de l’inflation par le Congrès américain en août 2022, l’UE et ses États membres s’inquiètent du traitement « injuste » qui peut être réservé à leurs entreprises par les États-Unis, ainsi que du départ de certaines firmes dans les branches d’industrie européennes fortement concernées. Emmanuel Macron s’est même rendu aux États-Unis pour rencontrer Joe Biden, s’efforçant de trouver les moyens d’obtenir une exception à l’égard des secteurs et des produits français et européens. En vain, malheureusement. 

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors d’une conférence de presse sur la publication du Pacte vert industriel à Bruxelles, le 1er février 2023 

Deux mois après son entrée en vigueur le 1er janvier 2023, les inquiétudes européennes deviennent réalité. Et c’est dans ce contexte que l’UE réfléchit à des politiques visant à assouplir les restrictions sectorielles et les facilités de financement destinées aux industries vertes afin de riposter. 

Ces mesures européennes sont une version européenne de la Loi sur la réduction de l’inflation, en fait une riposte directe, passive mais résiliente. Directe, car les mesures que les Européens vont prendre sont exactement basées sur la loi américaine ; passive, car ce sont les États-Unis, et non pas l’UE, qui ont pris l’initiative de promulguer cette loi ; résiliente, car malgré la prédominance des États-Unis, l’UE aura elle aussi un rôle prédominant à jouer dans les industries vertes. 

Premièrement, la version européenne de la Loi sur la réduction de l’inflation est une riposte directe contre les États-Unis. Dans les faits, la loi américaine porte principalement sur l’impôt sur les sociétés, sachant que les entreprises de grande envergure seront taxées à hauteur de 15 % d’un « impôt minimum sur les sociétés » ; sur la réforme de la tarification des médicaments sur ordonnance, qui demandera à la sécurité sociale et aux centres de services médicaux de négocier les prix de ces médicaments à partir de 2026 ; et sur les programmes de crédits fiscaux et de subventions aux énergies nouvelles. Cette loi prévoit d’investir 369 milliards de dollars dans les programmes de sécurité énergétique et de changements climatiques. Dans les trois composantes de ce projet de loi américain, c’est la troisième partie qui est la plus significativement corrélée aux secteurs des véhicules à énergies nouvelles et de la protection de l’environnement. 

Quant à l’UE qui adopte les politiques d’assouplissement des restrictions et celles de crédits fiscaux, elle répond du tac au tac aux États-Unis. Bien que l’UE n’a pas encore annoncé la totalité des crédits fiscaux, le montant européen sera grosso modo comparable au montant américain. 

Deuxièmement, la version européenne de la Loi sur la réduction de l’inflation est une riposte passive contre les États-Unis. Dans la forme, cette tension entre l’UE et les États-Unis est un conflit pour la réduction d’inflation, mais dans le fond, c’est un duel dans le domaine des énergies nouvelles entre les deux côtés de l’Atlantique. Ce combat a été d’abord déclenché par les États-Unis qui visait la Chine, et l’UE n’est donc pas la première cible. Mais l’UE s’est rapidement aperçue qu’elle était aussi dans le collimateur des États-Unis, tout comme la Chine. Conscients du fait que si la Loi sur la réduction de l’inflation entrait en vigueur, le secteur européen des énergies nouvelles serait gravement impacté, l’UE et ses États membres ont vivement réagi. Malgré la passivité de l’UE dans ce combat, les réactions européennes sont actives et positives. Il en est de même pour la visite du président Macron aux États-Unis : sa visite n’a pas porté ses fruits, mais la France et l’UE ont adressé à l’administration américaine un message fort. 

Des moteurs pour véhicules à énergie nouvelle dans l’atelier de production intelligent de Founder Motor, dans la zone de haute technologie de Moganshan, à Huzhou (Zhejiang), le 16 mars 2023 

Troisièmement, malgré ses aspects direct et passif, la version européenne de la Loi sur la réduction de l’inflation est une riposte résiliente de l’UE, avec quelques avantages. 

Les deux avantages de la version européenne sont la culture et les traditions européennes, ainsi que la taille du marché des véhicules à énergies nouvelles et des industries vertes basées sur cette immense zone qu’est l’UE. Si l’on compare les deux côtés de l’Atlantique avec une seule variable, à savoir la population, ceteris paribus, l’UE a une population de 500 millions d’habitants alors que les États-Unis n’en ont que 330 millions. S’ajoute aussi la capacité de consommation relativement forte de l’Europe occidentale au sens large, soit l’Europe du Nord, l’Europe du Sud et une partie de l’Europe centrale. Supposons que chaque habitant achète un véhicule à énergies nouvelles, le marché de l’UE dépassera celui des États-Unis de 170 millions d’unités, sachant que cela représente déjà une différence significative dans un marché de moyen et haut de gamme. 

Le marché des industries vertes et de la protection environnementale de l’UE possède plus d’avantages que celui des États-Unis, vu que les pays d’Europe continentale sont parmi les premiers pays qui ont préconisé et mis en pratique les concepts de vert et de protection environnementale depuis des décennies. L’Amérique du Nord a réalisé des progrès dans ces domaines, mais la société de consommation américaine a encore un long chemin à parcourir. 

L’UE doit néanmoins faire face à certains écueils. Technologiquement parlant d’abord, les véhicules à énergies nouvelles européens sont à la traîne des États-Unis et de la Chine. Ensuite, les investissements dans les véhicules à énergies nouvelles et les industries vertes ne peuvent pas encore rivaliser avec les États-Unis et la Chine. Enfin, l’entité que constitue l’UE est une nouvelle forme de souveraineté qui est moins structurée et qui demande souvent plus de négociations pour arriver à une décision. 

On peut surmonter ces trois écueils. D’abord, la taille du marché et la capacité de consommation de l’UE pourront compenser le manque d’avantages technologiques dans les énergies nouvelles. Quant au manque de capitaux, l’UE pourra recourir aux capitaux non-toxiques venant de la Chine, une grande économie émergente. Enfin, en ce qui concerne la souveraineté européenne, l’UE est en train d’avancer vers une union plus structurée et plus efficace. 

Quant à la passivité de l’UE, c’est le cas avec la Loi de réduction de l’inflation, mais c’est aussi le cas dans d’autres domaines, notamment dans les infrastructures. L’UE projette de démarrer 70 projets de construction d’infrastructures dans des pays tiers, comme par exemple avec son programme Global Gateway, qui allouera 280 millions d’euros à l’Afrique du Sud pour la transformation de ses centrales à charbon et le développement des énergies renouvelables. C’est peu par rapport à la Chine et aux États-Unis. 

L’UE a en fin de compte non seulement vivement réagi à la Loi sur la réduction de l’inflation des États-Unis, mais adopté une approche « œil pour œil, dent pour dent » et va probablement prendre des mesures plus actives vis-à-vis des États-Unis. En fait, l’UE et la Chine sont deux grandes économies qui peuvent collaborer dans le secteur des véhicules à énergies nouvelles et d’autres industries vertes dans le but d’assurer ensemble une croissance soutenu et bâtir une économie verte. 

*ZHAO YONGSHENG est professeur de finances, directeur du Centre de recherche sur l’économie française, et chercheur à l’Académie d’innovation et de gouvernance globales de l’Université de l’économie et du commerce international (UIBE)

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