Culture

Un patrimoine au charme oriental au cœur de la ville
By JIANG BO* | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-08-09 18:06:00

La partie nord de l’Axe central de Beijing au coucher du soleil, le 15 mai 2022  

L’Axe central de Beijing désigne une ligne traversant la capitale en son centre, qui part de Yongdingmen (porte d’entrée des remparts qui entouraient la vieille ville) et s’étend vers le nord en passant par Zhengyangmen, la place Tian’anmen, la Cité interdite, le parc Jingshan, jusqu’aux Tours de la cloche et du tambour. Il englobe également le Temple des ancêtres impériaux et l’Autel de la terre et du grain situés devant la Cité interdite, respectivement à gauche et à droite selon la disposition traditionnelle, ainsi que le Temple du ciel et l’Autel de l’agriculture installés aux deux extrémités sud de l’axe. S’étirant sur une longueur de 7,8 km, cet Axe central de Beijing sept fois centenaire équivaut à un concentré de procédés d’urbanisme et d’art architectural classiques, révélateurs de l’excellence qu’avait déjà atteinte la Chine antique dans ces domaines. Parallèlement, il s’agit d’un ensemble urbain qui transmet par essence les anciens usages confucéens en vigueur en Chine. 

L’Administration d’État du patrimoine culturel et le gouvernement municipal de Beijing ont déposé la candidature de l’Axe central de Beijing à l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Et si cette candidature venait à être validée, l’Axe central de Beijing deviendra à coup sûr un site du patrimoine mondial d’une valeur exceptionnelle aux yeux de l’humanité. 

Un modèle classique oriental dans l’histoire de l’urbanisme mondial 

Le modèle traditionnel d’urbanisme dans la Chine ancienne est tiré du Registre des métiers, inclus dans le classique Rites des Zhou. La disposition selon un axe central a commencé à se dessiner avec les villes de Yecheng et Luoyang sous la dynastie des Han (202 av. J.-C.–220) ; puis, sous les dynasties des Sui et des Tang, la ville de Chang’an a commencé à former un schéma urbain suivant une conception carrée, avec un axe symétrique passant au milieu ; enfin, la ville de Beijing (capitale sous les dynasties des Yuan, Ming et Qing 1271–1912) est devenue la meilleure illustration de l’urbanisme classique chinois. 

L’avenue piétonne de Qianmen sur l’Axe central de Beijing, le 4 mars 2022 

Beijing s’est développée avec la Cité interdite en son centre, traversée par un axe central allant de Yongdingmen au sud, en passant par la Salle de la suprême harmonie, jusqu’aux Tours de la cloche et du tambour marquant les extrémités nord de la vieille ville. Ainsi, c’est une ligne de repère pour la planification urbaine de la capitale qui a été tracée. Dans le même temps, la répartition est-ouest des bâtiments devant les remparts selon le type zuozuyoushe a vu le jour. Un archétype d’urbanisme profondément influencé par la pensée confucéenne s’est formé. À titre d’exemple, selon les classiques confucéens, le Temple du ciel est situé au sud-est du méridien nord-sud. Cette idée de bâtir les villes autour d’un axe central nord-sud a longtemps perduré et exercé une influence considérable, puisqu’elle s’est propagée jusque dans la péninsule coréenne, au Japon et au Viet Nam. Cela a donné lieu à un modèle classique oriental en matière de conception et planification urbaines des cités antiques du monde. 

Quelques exemples remarquables de l’art architectural chinois antique 

Les bâtiments sur l’Axe central de Beijing sont des « bijoux » d’architecture, tous devenus des emblèmes classiques. Il y a les plus sublimes, comme la place Tian’anmen et la Salle de la suprême harmonie, qui peuvent être considérées comme des modèles d’architecture impériale ; il y a les plus solennels, comme le Temple des ancêtres impériaux et le Temple du ciel ; il y a les plus sobres, comme les Tours de la cloche et du tambour ; il y a les plus gracieux, comme le jardin impérial de la Cité interdite et le parc Jingshan ; sans oublier Yongdingmen et Zhengyangmen, ainsi que le pont Wanning et la route impériale facilitant les échanges. 

Tian’anmen à l’aube du 19 septembre 2019 

Qui plus est, chaque bâtiment sur l’Axe central de Beijing présente ses propres caractéristiques selon sa fonction : certains ont un côté majestueux, avec leur toit en croupe à double avant-toit ; d’autres paraissent somptueux, avec leurs poutres sculptées aux peintures vives ; certains affichent des murs rouges et des tuiles jaunes ; d’autres sont pavés d’étincelants carreaux dorés. L’ancien savoir-faire architectural et décoratif chinois est exposé ici sous ses plus beaux atours. L’architecte Liang Sicheng a un jour comparé, à raison, l’Axe central de Beijing à un joli morceau de musique à la fois rythmé et poétique, pianotant sur toute la gamme de notes avec des silences bien placés, pour faire ressortir la quintessence de l’art architectural. 

Un vecteur de l’héritage confucéen 

Lorsque l’on examine de plus près la planification et la conception de l’ancienne ville de Beijing, notamment les spécifications, la hiérarchie, l’ordre et même l’agencement des bâtiments, une question s’impose, à savoir : ces caractéristiques seraient-elles en fait au reflet des concepts de « l’homme entre ciel et terre » et du « respect des ancêtres » dans l’ancienne étiquette confucéenne chinoise ? La Salle de la suprême harmonie et le Temple des ancêtres impériaux ont été conçus selon les normes les plus élevées des dogmes confucéens. Les terrasses dominant l’horizon et les marches de jade, les toits en croupe à double avant-toits, leur largeur de face, la profondeur, la forme des toits et même la couleur des émaux… Tous ces éléments s’alignent sur un système confucéen poussé, pour souligner la majesté et l’autorité du pouvoir impérial. 

Départ du semi-marathon de Beijing 2021 sur la place Tian’anmen, le 24 avril 2021 

À l’est et à l’ouest de l’Axe central de Beijing se trouvent le Temple des ancêtres impériaux et l’Autel de la terre et du grain. Le premier est un lieu sacrificiel pour le culte des ancêtres ; le second est le lieu rituel pour prier le beau temps et de bonnes récoltes. Conformément à la théorie du yin et du yang, les autels dits yuanqiu (rond) et fangqiu (carré) où l’empereur vénérait respectivement le Ciel et la Terre, sont disposés l’un l’autre aux extrémités sud et nord de l’Axe central de Beijing. Au vu de la tradition de la civilisation agricole, il existait aussi des autels où l’empereur priait pour les bonnes récoltes et où l’impératrice priait pour la sériciculture, dans l’initiative de montrer l’exemple et d’encourager le développement agricole. On peut alors s’imaginer comment était la vie en ces temps si anciens : dans la capitale impériale placée sous de bons auspices, l’empereur appelait les fonctionnaires civils et militaires de tous rangs à sortir du palais pour fréquenter les autels, faire des offrandes au Ciel et à la Terre, et déployer les politiques. Ainsi, l’Axe central de Beijing constitue en quelque sorte la « voie sacrée » pour gouverner le pays, faire des sacrifices au dieu du Ciel et vénérer les ancêtres conformément à l’étiquette confucéenne. 

Une illustration de l’environnement urbain et des traditions en Orient 

Beijing, en particulier le long de l’Axe central, est une exposition à ciel ouvert qui présente la tradition et l’esthétique ancrées dans l’habitat humain en Orient. Par exemple, la Cité interdite, symbole du pouvoir impérial, avec le parc Jingshan en arrière-plan et le pont Jinshui en avant-plan, faisait régner l’esprit du fengshui. Les fonctionnaires s’affairaient dans la capitale, passant par Xuanwumen (à l’ouest) et Chongwenmen (à l’est), et contribuaient à la bonne réputation de l’empereur. Dans l’enceinte de la Cité interdite, tout devant, se trouve la Salle de l’harmonie suprême, qui servait à l’administration des affaires de la Cour impériale ; le jardin impérial au relief pittoresque est aménagé à l’arrière. 

Place de la Tour de la cloche, le 7 novembre 2021 

L’Axe central de Beijing a été le témoin des changements intervenus au cours de l’histoire chinoise : c’est là où l’empereur Yongle à l’allure imposante a accompli son mandat impérial ; c’est là où l’empereur Kangxi à la grande droiture a gouverné le pays en faisant preuve d’inventivité ; c’est là où l’impératrice douairière Cixi, « dirigeant derrière le rideau », caressait le rêve de prolonger son règne ; c’est là où l’empereur Chongzhen s’asseyait pour écouter les élégies de l’empire ; c’est là où Kang Youwei a adressé une lettre contestataire au gouvernement au lendemain de la signature du Traité de Shimonoseki ; et c’est là où Yu Qian a résisté aux agressions venant de l’extérieur. Et notons également que l’Axe central de Beijing a été le théâtre d’événements qui ont marqué l’histoire chinoise : le président Mao a proclamé la fondation de la République populaire de Chine depuis le balcon de la porte Tian’anmen (la paix céleste) ; et Zhou Enlai a calligraphié l’inscription qui se trouve au dos du Monument aux héros du peuple. L’Axe central de Beijing voit ainsi défiler sous ses yeux, au fil des âges, les vicissitudes de l’humanité, entre prospérité et déclin, et garde en mémoire ce long pan de l’histoire. 

Place de la Tour du tambour, le 23 août 2017 

Dans la nouvelle ère, la candidature de l’Axe central de Beijing en vue de son inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO vient écrire un nouveau chapitre en faveur de la protection des legs culturels de la ville. Le précieux héritage culturel qu’il représente est confronté à de sérieux défis à notre époque, à savoir le développement industriel, la croissance démographique, la congestion du trafic routier et la hausse de la pollution. Mais fort heureusement, depuis le lancement du projet d’inscription, les Pékinois s’engagent avec un enthousiasme pour la préservation du patrimoine culturel urbain : les bâtiments à deux doigts de s’effondrer sont mis sous protection ; les peintures murales hautes en couleurs sont restaurées ; les constructions délabrées aux alentours des Tours de la cloche et du tambour ont été bien rénovées ; la rue commerçante de Dashilan où fleurissent les boutiques renoue avec son dynamisme d’antan ; Yongdingmen, pétrie des matières premières, du savoir-faire et des spécifications du passé, a fait peau neuve et redonné de l’éclat à Beijing ; l’Autel de l’agriculture a retrouvé son charme d’autrefois... L’ancienne ville de Beijing refait surface, parée d’un nouveau paysage patrimonial ! 

*JIANG BO est professeur à l’Université du Shandong et vice-président du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) pour la Chine 

Numéro 12 avril-juin 2022
L'Axe central de Beijing, une artère historique
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