Culture

L'Axe central de Beijing dans les ouvrages européens
By WANG HONGBO* | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-08-09 16:58:00

Angle nord-ouest de la Cité interdite, le 12 novembre 2021 

De par son rôle central dans la civilisation orientale, Beijing avec sa grandeur et sa splendeur, a toujours suscité la curiosité en Europe. L’Axe central, avec Yongdingmen au sud et les Tours de la cloche et du tambour au nord, avec ses spécificités architecturales et sa configuration, a en effet marqué les esprits des envoyés étrangers. 

Marco Polo découvre Dadu 

À la fin du XIIIe siècle, Marco Polo effectua un périple de 25 ans en Europe, en Asie et en Afrique. Le voyageur italien passa au moins neuf années à Dadu, la capitale des Yuan (aujourd’hui Beijing). Après son retour en Italie, il compila ses souvenirs dans le Livre des Merveilles, dans lequel il décrit vaguement l’Axe central de cette ville qu’il appelle de son nom mongol, Cambaluc. 

« La ville est faite en carré et peut avoir vingt-quatre milles de superficie, chaque côté ayant six milles de long. Ses murailles sont blanchies ; elles sont de vingt pas de haut, dix de large, elles sont bâties en talus. Chaque long côté de la muraille a trois portes principales, qui font douze en tout ; auprès de chaque porte il y a de magnifiques palais ; il y a aussi de beaux bâtiments aux angles des murs, qui servent à garder les armes de la ville ; il y a dans cette ville des rues et des places tirées au cordeau, en sorte que l’on peut voir d’une porte à l’autre tout le travers de la ville. » (Livre II, chapitre X) 

Ce passage est tout à fait cohérent avec les archives chinoises, qui décrivent l’agencement des rues avec un axe principal nord-sud et des artères d’est en ouest, les hutong, d’égale distance, larges soit de 24 pas, soit de 12 pas. 

Exposition photographique « L’épine dorsale de la capitale » sur l’Axe central de Beijing, à la bibliothèque de la Capitale, le 22 octobre 2020 

Dans son livre, Marco Polo fait une description détaillée de la ville impériale et du palais, qui forment l’ensemble architectural le plus important de l’Axe central. « La face du palais qui regarde le midi a cinq portes, dont celle du milieu est plus grande que les autres ; on ne l’ouvre que pour le roi. Car il n’est permis qu’au roi d’entrer par cette porte ; mais ceux qui accompagnent le roi entrent par les quatre autres, qui sont aux côtés de celle-là. Chacune des trois autres faces n’a qu’une seule porte au milieu, par où il est permis à tout le monde de passer. Au reste, il y a une seconde muraille intérieure, outre celle dont nous avons parlé, qui a, comme la première, huit palais, tant aux angles qu’au milieu des côtés. » (Livre II ; chapitre IX) 

Sur l’Axe central de Cambaluc se trouve la Salle Daming, où les empereurs de la dynastie des Yuan effectuent des célébrations. « Dans la grande cour de ce palais, il y a une table où six mille hommes peuvent manger ensemble. » Et de décrire la magnificence des lieux. « Dans ces palais sont gardés les vases précieux et les bijoux du roi ; or, au milieu de l’espace de carré intérieur est le palais où loge le roi. Ce palais n’est pas bien éclairé ; car son pavé est élevé de dix paumes en dehors, et le toit en est aussi fort haut et orné de belles peintures ; les murailles des cours et de l’enclos brillent d’or et d’argent ; elles sont peintes de différentes manières ; mais particulièrement on y voit plusieurs traits d’histoire des guerres, qui sont représentés avec de vives couleurs, et tout y est éclatant d’or. » 

La description haute en couleurs de Cambaluc suscita un fort enthousiasme en Europe, beaucoup souhaitant découvrir ce haut-lieu de la civilisation orientale. 

La « découverte » de l’Axe central 

L’ouverture d’une nouvelle route maritime et l’arrivée de missionnaires et d’envoyés européens permirent d’introduire le système politique, éthique, religieux, culturel et artistique de la Chine. Les Européens découvrirent cette civilisation orientale sans nulle autre pareille et une « fièvre chinoise » balaya les principaux pays occidentaux. Beijing était au centre des descriptions de ces émissaires étrangers. 

Pendant un siècle, à compter de l’arrivée de Matteo Ricci à Beijing en 1598, des dizaines de Jésuites s’installèrent dans la capitale chinoise. Les documents qu’ils laissèrent, leurs observations et leur quotidien, devinrent des documents de première main pour le monde occidental. 

Plan de Beijing lors de la 34e année du règne Guangxu (1908) (Photo fournie par Wang Hongbo) 

Matteo Ricci effectua deux séjours à Beijing, en 1598 et en 1601, et y resta pendant plus de dix ans. En tant qu’œuvre pionnière dans les échanges culturels entre la Chine et l’Europe à la fin de la dynastie des Ming et au début de celle des Qing, ses Notes sur la Chine eurent un impact profond sur la littérature, la science, la philosophie, la religion et la vie en Europe. Matteo Ricci y parle de l’Axe central de Beijing. « Le palais est construit à l’intérieur du mur sud, comme une entrée de la ville, il s’étend jusqu’au mur nord ; sa longueur égale celle de la ville et il occupe le centre de la ville. Le reste de la ville est réparti de part et d’autre du palais impérial... L’élégance et la beauté de son architecture sont mises en valeur par ses lignes élancées. » C’est sans doute la première fois qu’un étranger prêta attention à l’Axe central traditionnel de Beijing et exprima clairement son rôle. 

L’envoyé néerlandais Jan Nieuhof arriva en Chine en 1654. Il nota non seulement les us et coutumes de la Chine à cette époque, mais peignit également de nombreuses aquarelles. Le tout fut compilé dans le livre Première visite de l’ambassadeur néerlandais en Chine, une référence populaire en Europe au XVIIIe siècle. De nombreux artistes et architectes utilisèrent ses aquarelles comme modèle pour créer un style chinois imaginaire. Évoquant la Cité interdite, il remarqua : « Ce palais est un quadrilatère ; il s’étend sur un rayon de 12 miles ; il faut 45 minutes pour le parcourir à pied. Il est situé à l’intérieur de la deuxième enceinte de la ville de Beijing... Il y a une porte à l’est, à l’ouest, au sud et au nord de ce palais. Tous les bâtiments sont répartis le long de l’Axe central en forme de croix, soigneusement divisée en plusieurs parties. » 

Dans le Plan de la ville impériale de Beijing de Jan Nieuhof, on peut voir clairement un axe principal au centre de la Cité interdite, entouré de murs, avec de nombreux palais disposés sur cet axe nord-sud. À cet axe vertical nord-sud s’ajoute un axe horizontal est-ouest, qui présente une disposition en plan croisé. L’intersection de l’axe nord-sud et de l’axe est-ouest est un carré ouvert. 

Bien que Jan Nieuhof et d’autres aient été autorisés à entrer dans la ville impériale chinoise, ils ne pouvaient se déplacer à leur guise. Le plan de la ville impériale de Beijing tel qu’il est représenté dans le livre est très différent de la réalité. On peut néanmoins voir que Jan Nieuhof comprenait le principe de l’aménagement urbain en damier, mettant en exergue l’importance de l’Axe central nord-sud de la capitale. 

Un fin connaisseur de Beijing au XVIIe siècle 

Au cours de la cinquième année du règne de Shunzhi (1648), le missionnaire portugais Gabriel de Magalhāes s’arrêta à Beijing. Il y passa 29 ans de sa vie. En 1688, il publia à Paris la Nouvelle Relation de la Chine, avec un compte-rendu très détaillé de l’Axe central de Beijing. 

Voici la description que Gabriel de Magalhāes donne dans le chapitre XVIII de son livre. « Le palais du roi a vingt appartements qui vont en ligne droite du sud au nord ». Il décrit de manière plus détaillée de nombreux bâtiments sur l’Axe central, comme la porte du Méridien et la voie Qipan. « Entre l’enceinte extérieure du palais et la muraille méridionale où est la porte principale de la ville, il y a un très grand espace dépendant du palais et disposé de la manière suivante : quand on entre par la porte de la ville, on se trouve dans une grande et belle rue qui s’étend le long de la muraille de la ville ; et après l’avoir traversée, on entre dans un terrain carré environné d’une balustrade de marbre. » 

Plan de la ville impériale de Beijing au XVIIe siècle (Illustration de Jan Nieuhof) (Photo fournie par Wang Hongbo) 

Au nord de la voie Qipan se trouve la porte Daqing et la place du palais en forme de T. « La Porte de la Grande Pureté [Porte Daqing] consiste en trois portes avec trois voûtes fort longues et fort larges au-dessus desquelles est une très belle salle. Ces portes ne sont jamais ouvertes que quand le roi veut sortir de la ville. Au-delà de ce premier appartement, il y a une grande et vaste cour ornée des deux côtés de portiques et de galeries soutenues par deux cents colonnes [le couloir des mille marches] qui étant vues de la porte, sont une longue et très agréable perspective. Cette cour est large de deux traits d’arc et longue de plus de deux portées de mousquet ; et elle est terminée du côté nord par la fameuse rue du Perpétuel Repos [avenue Chang’an] qui continue au travers de deux portes qu’on voit de part et d’autre. Ces deux portes prennent le nom de cette rue dans laquelle elles sont bâties ; car la première s’appelle Porte Orientale de la rue du Perpétuel Repos, et l’autre, la Porte Occidentale de la même rue. » 

Même si Gabriel de Magalhāes confondit Ming et Qing dans les documents, et s’il existe quelques défauts dans la description de l’agencement architectural, il fut en mesure de saisir les caractéristiques de la ville impériale et la symétrie axiale de la ville impériale. Il présenta aussi les principaux bâtiments le long de l’Axe central. 

Comparée à la fragmentation politique, aux guerres fréquentes dans l’Europe médiévale, la Chine avait atteint la stabilité et l’unité politique sur une zone presque identique à celle de l’Europe. Les envoyés et les missionnaires en Chine ont comparé Beijing à une « ville de l’espoir ». Le concept de l’Axe central urbain en Chine, propagé par les missionnaires, a eu un impact profond sur l’urbanisme européen.  

*WANG HONGBO est chercheur adjoint à l’Institut d’histoire de l’Académie des sciences sociales de Beijing 

Numéro 12 avril-juin 2022
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