Culture

Quand préservation du patrimoine rime avec développement durable
By LIU TING • membre de la rédaction | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-08-08 15:14:00

Le café Chunfengxixi (Brise printanière) à Sanlihe, dans le quartier de Qianmen, le 1er octobre 2021 

La préservation et la mise en valeur du patrimoine font l’objet d’une préoccupation internationale. Partant de l’Axe central de Beijing, dont le processus pour un classement au patrimoine mondial est en cours, Dialogue Chine-France a interviewé Alfredo Conti, architecte argentin, spécialiste de la conservation du patrimoine et ancien vice-président du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), sur la question de la protection du patrimoine et des possibles collaborations au niveau international dans ce secteur. 

Dialogue Chine-France : La conservation du patrimoine dans une mégapole fait face à de nombreux défis au cours de la modernisation urbaine. Comment parvenir à concilier la protection du patrimoine historique et culturel avec la modernisation urbaine ? 

Alfredo Conti : La conciliation entre la protection des valeurs des villes traditionnelles et la modernisation a été l’un des défis les plus importants depuis le début du XXe siècle. Au début de ce siècle, l’architecte italien Gustavo Giovannoni a écrit un livre qui mentionne, dans son titre [L’Urbanisme face aux villes anciennes, NDLR], la ville ancienne et la construction moderne. Il y parle de la possibilité de modernisation (répondre aux besoins d’une société moderne), mais en préservant certaines valeurs urbaines et architecturales. La période entre les deux guerres mondiales a vu se développer le mouvement moderne en urbanisme et architecture, qui proposait une rénovation totale des villes, comme dans le cas du Plan Voisin (1925) de Le Corbusier pour un secteur de Paris. Après la Seconde Guerre mondiale, une redécouverte de la ville traditionnelle a commencé, ce qui a encouragé les discussions sur la conciliation entre conservation et modernisation. Au début du XXIe siècle, et au sein de la Convention sur le patrimoine mondial a surgi une nouvelle discussion sur l’incorporation de l’architecture moderne dans des contextes historiques, ce qui a mené à la Recommandation concernant le paysage urbain historique de l’UNESCO, le document international le plus récent sur ce sujet (2011). Cette recommandation établit que les termes « conservation » et « développement » ne sont pas opposés, mais complémentaires, et propose d’atteindre les buts des deux. Dans cette vision, la ville est définie à partir de couches de valeurs et d’attributs, tels que le site naturel, le bâti, les espaces ouverts, l’infrastructure et aussi toutes les composantes immatérielles, dont les pratiques sociales et la manière dont les habitants « vivent » et utilisent leur ville. Il s’agit, donc, d’un accord social sur les valeurs à préserver et sur les limites de changement que la ville peut admettre sans perdre son caractère et son identité. Il y aura des zones de conservation et d’autres zones où la rénovation sera bienvenue, et aussi la possibilité de bâtiments nouveaux dans les zones historiques, mais avec des limites, telles que le gabarit, les matériaux, etc. Tout cela est clair, mais le grand défi est de l’appliquer. Il y a des villes qui mettent en pratique cette approche des paysages urbains historiques dans leur système de gestion. 

Restauration de bâtisses anciennes à Dashilan, dans le quartier de Qianmen, le 12 avril 2008 

La candidature pour faire de l’Axe central de Beijing un site du patrimoine mondial a été déposée auprès de l’UNESCO. Selon vous, comment cette action peut-elle favoriser la protection et le développement du cœur historique de Beijing ? 

L’Axe central de Beijing a une valeur historique, urbaine, architecturale, sociale et symbolique très importante. Des composantes associées à l’Axe central sont déjà inscrites sur la Liste du patrimoine mondial, telles que la Cité interdite et le Temple du ciel ; d’autres sont protégées au niveau national. Mais cette proposition d’inscription de l’Axe central comme un tout pourrait aider à une approche de protection plus adaptée aux concepts actuels en la matière, parce qu’au-delà des monuments historiques les plus anciens et connus, il y aura une protection de tous les espaces, dont les rues et tout le complexe de Tian’anmen, si important pour l’histoire de la ville et du pays au XXe siècle. Il y aura donc une vision intégrale de la conservation qui implique en même temps le développement, parce que les usages actuels de ces espaces et les formes de vie moderne seront intégrés à cet espace monumental qui résume l’histoire de la ville de son établissement à nos jours. 

De nombreuses villes dans le monde sont traversées par des axes, comme Paris, Berlin et Barcelone. Quelles leçons Beijing peut-elle tirer, en matière de protection du patrimoine, de l’expérience des villes qui partagent cette particularité ?  

Je crois que le cas de ces villes européennes est bien différent de celui de Beijing, parce que ces axes ont été incorporés lors de projets de modernisation, notamment au XIXe siècle. À Beijing, l’axe est né avec la ville, et la ville est née et s’est développée à partir de son axe central. D’après ce qu’on a vu lors de réunions d’experts organisées par la municipalité de Beijing et les organismes nationaux sur la conservation du patrimoine, la ville de Beijing a adopté un système de protection qui permettra la conservation adéquate de ce grand espace urbain. Je crois que la Chine a déjà pris en compte les leçons qu’elle pouvait tirer d’autres villes du monde et les a adaptées aux conditions spécifiques du bien proposé à la Liste du patrimoine mondial. 

La reconnaissance en tant que patrimoine mondial attire souvent un grand nombre de touristes. Quel rôle le tourisme joue-t-il dans la gestion du patrimoine ? Comment parvenir à concilier la protection du patrimoine avec le tourisme ? 

Lancement de la marque de papeterie de la Cité interdite « Sur les écritoires de la Cité interdite » au Musée du Palais, le 20 septembre 2019 

Le tourisme est devenu l’une des activités économiques principales dans le monde. Le patrimoine culturel, notamment dans le cas des villes, est l’une des ressources les plus importantes pour développer le tourisme, et les touristes cherchent ce patrimoine, même avec des motivations différentes. Le tourisme massif, lorsque non correctement planifié, peut causer des impacts négatifs sur le patrimoine et aussi, dans les cas de petites villes et petits villages, des impacts sociaux. Il faut donc étudier et contrôler la capacité des lieux de recevoir des visiteurs, comment les valeurs et les significations du patrimoine seront présentées et interprétées et quelle sera la relation entre les visiteurs et les habitants. Parfois, il faut appliquer des mesures qui ne sont pas populaires, par exemple limiter le nombre de visiteurs à un bâtiment ou un espace patrimonial, mais il faut penser que lorsqu’il s’agit d’un site exceptionnel, la protection doit être prioritaire sur l’exploitation touristique. Le tourisme, en somme, est une activité très importante, mais ne doit pas être le but des plans de gestion ; en tout cas, il faut intégrer le tourisme comme un chapitre de ces plans, qui ont comme objectif principal d’assurer la protection des valeurs des sites patrimoniaux. 

Ces dernières années, la conservation du patrimoine est confrontée à de nombreux défis tels que la guerre, la pandémie de COVID-19 et le changement climatique. Comment les pays du monde peuvent-ils coopérer pour relever ces défis ? 

Ces thèmes se trouvent aujourd’hui au centre des débats internationaux dans le domaine du patrimoine culturel et naturel. Le cadre principal pour l’action et la coopération internationales est la Convention du patrimoine mondial. Tous les pays membres de l’UNESCO l’ont adoptée et il s’agit de la réunion la plus importante au niveau global pour élaborer et implémenter les politiques concernant la protection du patrimoine. D’autres organismes, tels que l’ICOMOS et l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) regroupent des experts dans le monde entier et ont incorporé des sujets tels que le changement climatique et les objectifs du développement durable dans tous les processus concernant la protection du patrimoine. L’UNESCO et ces organismes sont issus des documents qui proposent des principes théoriques et pratiques pour agir, par exemple, face au changement climatique ou à la reconstruction du patrimoine après une situation traumatique. Ce sont des sujets très actuels et le débat va continuer certainement dans les années prochaines, mais ce qui est important est que tous ces thèmes soient la principale préoccupation de ces organismes internationaux. 

Numéro 12 avril-juin 2022
L'Axe central de Beijing, une artère historique
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