Le lac Lugu, à la frontière entre les provinces du Sichuan et du Yunnan, est à couper le souffle. Situé à la jonction du district de Yanyuan, dans le Sichuan, et du district de Ninglang, dans le Yunnan, il est l’un des plus hauts lacs de la région intérieure de la Chine. Il est aussi l’un des lacs d’eau douce les plus profonds du pays, descendant jusqu’à 70 m, tandis que sa profondeur moyenne est de 40 m. 

Au petit matin, les nuages et l’eau se fondent sur le lac Lugu. 

La tradition du « mariage ambulant » 

Le long des rives du lac Lugu vivent les descendants des Mosuo, une branche de l’ethnie Naxi. La population mosuo est d’environ 50 000 et elle parle sa propre langue, qui n’a pas de forme écrite. La région a souvent été qualifiée de « Royaume des femmes » en raison de la tradition des Mosuo du « mariage ambulant ». Ses habitants ont conservé l’ancien modèle de clan familial matriarcal et ont été surnommés « la dernière rose de la culture familiale matriarcale orientale ». 

La montagne du Lion, également connue sous le nom de montagne Gemu, est située sur le côté nord du lac Lugu. Elle est le sanctuaire de la divinité des Mosuo : la déesse Gemu. La montagne Gemu surplombe l’eau du lac et semble profondément endormie. Dans ses rêves, la déesse-montagne veille au bonheur de son peuple. 

Des pirogues amarrées sur la rive du lac Lugu 

La déesse a non seulement enseigné au peuple mosuo les secrets de la culture, mais elle leur a également donné l’espoir dans la vie quotidienne ainsi que la paix ; surtout, elle leur a légué le bel héritage de l’amour romantique. Les Mosuo conservent la coutume matriarcale du « mariage ambulant », dans lequel ni les hommes ni les femmes n’entrent dans une relation monogame. Après que les jeunes femmes mosuo ont atteint la maturité, elles vivent seules dans une « chambre fleurie ». Avec l’accord de la dame, un homme peut rester pendant la nuit et repartir le lendemain matin. Un pont en bois long de 300 m appelé « pont du mariage ambulant », qui traverse « la mer d’herbe » constituée de roseaux denses, en permet l’accès. 

L’évolution des traditions 

Les aigrettes pêchent dans la mer d’herbe alors que des groupes de canards sauvages flottent sur le lac, que des bouquets de roseaux parsèment l’endroit et que des plantes donnent à l’eau sa couleur verte. Un cadre magnifique pour le passage silencieux des barques en auge de cochon. 

Avec le nombre croissant de touristes ces dix dernières années, les traditions de la vie quotidienne des Mosuo dans le Yunnan ont été considérablement, sinon complètement changées, tandis que le groupe de Mosuo vivant dans le Sichuan a conservé sa vie traditionnelle. Dans le village de Shekua, dans le district de Yanyuan, une grand-mère de 92 ans est prise en charge par sa fille de 60 ans. L’épouse de son petit-fils, Youjiama, parle le mandarin et est l’interprète principale des touristes. La distance entre la maison de la mère de Youjiama et celle de sa belle-mère n’est que d’une douzaine de mètres. Une relation monogame est très courante parmi la jeune génération, mais la tradition du mariage ambulant des générations plus âgées étant préservée, il est encore très courant que les deux membres d’un couple continuent à vivre dans la maison de leur mère respective après leur mariage.

Selon la culture traditionnelle des Mosuo, la grand-mère est responsable de la maison. 

Youjiama travaille dans une auberge locale. Selon ses propres mots, « la tradition du mariage ambulant existe toujours dans la communauté mosuo, mais celle-ci a une grande tolérance quant à la manière dont les gens la suivent. Aujourd’hui, on accepte que les membres d’un couple vivent ensemble ou séparément dans la maison de leur mère après leur mariage, et la tradition selon laquelle une femme entretient des relations conjugales avec de nombreux hommes a disparu depuis environ 30 ans. En outre, étant donné le nombre croissant de personnes provenant d’autres régions qui s’installent ici, les mariages interethniques augmentent. » 

Proche de la trentaine, Youjiama a déjà deux enfants. Elle a donné naissance à son aîné alors qu’elle n’avait que 19 ans. Avoir des enfants à un si jeune âge est courant chez les Mosuo, mais ce qui rend Youjiama unique, c’est qu’elle a été la première femme de son village à aller travailler dans la province voisine du Yunnan. Au début, ce comportement a choqué sa communauté et elle a été méprisée par les anciennes générations, mais après une décennie, ce point de vue a évolué. Aujourd’hui, Youjiama organise des danses traditionnelles mosuo, exécutées par de jeunes femmes du village, pour les touristes ; elle présente également à ces derniers la culture mosuo. Ceci lui a valu les éloges des anciens de son village. 

Le rôle des hommes et des femmes dans la famille change avec les nouvelles générations. Dans la famille du mari de Youjiama, qui compte dix personnes, même si son frère et sa sœur cadets n’ont pas quitté la maison, le mari de Youjiama a pris le rôle de chef de famille, modifiant ainsi le modèle traditionnel. Quant à la famille strictement traditionnelle de la mère de Youjiama, deux de ses filles ont déjà quitté la maison pour vivre avec leur mari. Ces changements sont dus à l’influence du monde extérieur ainsi qu’à d’autres facteurs. Lorsque la déclaration de résidence d’un enfant est enregistrée à sa naissance ou est demandée pour son inscription scolaire, il est nécessaire de fournir le certificat de mariage des parents. En conséquence, obtenir un certificat de mariage du gouvernement est une obligation pour les couples de la nouvelle génération. 

Un milieu naturel immaculé 

L’eau du lac Lugu est si claire que de sa rive, on voit le fond du lac et les poissons nageant librement autour des plantes aquatiques. Chaque année entre mai et octobre, les fleurs Ottelia acuminées aux couleurs vives fleurissent le long des rives. Elles ne sont pas seulement belles, elles sont aussi nutritives et délicieuses. L’eau turquoise est bordée de montagnes verdoyantes, et des baies dessinent le tracé des rives. La route qui serpente autour du lac offre de beaux panoramas. Tant la partie du lac située dans le Yunnan que celle dans le Sichuan possèdent une « plage des amoureux ». 

La plage des amoureux du Yunnan donne sur une vaste étendue d’eau et, au loin, la montagne Gemu et la montagne Houlong sont visibles. Selon la mythologie locale, les divinités Gemu et Houlong s’aimaient, mais elles furent séparées par la déité des cieux qui les changea en montagnes, de part et d’autre du lac. La déité des cieux ne leur permettait de partager quelques moments qu’une fois par an, le quinzième jour du septième mois lunaire, sur la plage des amoureux. 

Alors que le clair de lune brille sur la plage des amoureux, côté Sichuan, les âmes sœurs rentrent chez elles, et les pêcheurs lancent leurs filets et attachent leurs petits bateaux. Par beau temps, les plages sont couvertes de couples profitant ensemble du paysage. 

Pendant les fêtes religieuses au cours desquelles ils font des sacrifices, les Mosuo marchent dans les montagnes et autour du lac, vénérant les montagnes et l’eau. Les activités sacrificielles ne durent pas longtemps, mais l’autel ne reste pas inactif. Les gens adorent la déesse et apprécient la beauté de la baie de la déesse. La divinité paisiblement endormie offre un spectacle mystique alors que le soleil se couche lentement sur son cœur.  

ZHAO YANQING • chroniqueur