Chine-France

Débutons un nouveau cycle de 60 ans de relations sino-françaises avec des priorités communes
By LAURENT FABIUS* | Dialogue Chine-France | Updated: 2024-01-24 15:27:00

« Dans les grandes crises, le cœur se brise ou se bronze ». Ces mots sont du grand écrivain français Balzac dans La Comédie humaine et ils trouvent une résonance particulière à un moment où notre monde est confronté à des tragédies humaines sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Une avalanche de crises sécuritaires, économiques, environnementales, technologiques, humanitaires, avec un tribut très lourd payé par les peuples et les régions les plus vulnérables. 

Spectacle de danse du lion dans les rues du 8e arrondissement de Paris pour célébrer le Nouvel An chinois, le 1er février 2022 

Aujourd’hui, les tensions géopolitiques s’aggravent, et la paix elle-même est attaquée. L’onde de choc des guerres se fait ressentir partout avec la hausse de la conflictualité, de l’insécurité, de la précarité, des tensions, et des prix. L’ampleur des problèmes est aggravée par une méfiance croissante envers les institutions internationales et par une remise en cause des grands principes du droit international et, dans le même temps, à l’intérieur des pays, les attaques contre ce qu’on appelle l’État de droit, là où il existe, se propagent. Les inégalités, souvent se creusent. 

La deuxième grande question, j’en ai bien d’autres, c’est le dérèglement climatique, les canicules, les incendies, les sécheresses, les inondations. Les voyants sont au rouge. À moins d’une action forte, urgente et mondiale, la trajectoire actuelle nous mène vers un quasi-doublement de la limite de 1,5 degré établie par l’Accord de Paris que j’ai eu l’honneur de préparer et de présider et à la conclusion duquel la Chine a beaucoup aidé. 

Pour relever les défis existentiels de la paix et de la survie de l’humanité, il faut dépasser les divisions et travailler l’expression bien connue à une communauté de destin qui soit vraiment durable. Et pour y parvenir, je reprends les mots prononcés par notre ami le Secrétaire général des Nations Unies à l’ouverture de la dernière Assemblée générale de l’ONU. Je les cite : « Les dirigeants du monde ont le devoir de parvenir à un compromis. La transition vers ce nouveau monde s’accompagne d’instabilités, mais elle ouvre aussi la voie vers de nouvelles opportunités de justice et d’équilibre dans les relations internationales », notamment entre la Chine, l’Europe et les états-Unis, sans oublier bien sûr, notamment l’Inde, le Brésil et l’ensemble des nations. Ce scénario positif est également celui de la fin d’un certain type de mondialisation en faveur d’une mondialisation nouvelle où, en particulier, la place de l’Europe serait renforcée, et elle ouvre la voie au développement d’un réel multilatéralisme dans le respect des intérêts de tous, en particulier des plus vulnérables. Et je pense singulièrement à l’Afrique. 

Ce dont tout le monde a besoin aujourd’hui, c’est l’unité par l’action, la coopération pour un développement pacifique et durable de haute qualité. « L’approche coopérative », c’est ainsi que je qualifierais notre relation entre la Chine et la France et la voie empruntée précisément par la France et par la Chine depuis 60 ans, malgré leurs différences évidentes, afin de relever ensemble les défis mondiaux. La France, en effet, attache une grande importance à sa relation avec la Chine. Les deux dernières années ont été marquées par l’impact de la crise sanitaire. L’année 2023 a été celle de la relance des relations bilatérales franco-chinoises. La visite d’État du président français en Chine l’année 2023 a permis d’engranger une dynamique d’échanges réguliers marquée par des coopérations et certaines avancées concrètes. 

Le stand de GTT à la Foire internationale du commerce des services de Chine 2022 à Beijing, le 1er septembre 2022 

La participation du Premier ministre chinois au Sommet pour un nouveau pacte financier mondial à Paris en juin 2023 a montré qu’il possède les fruits de l’approfondissement d’un agenda positif entre la France et la Chine. L’accord sur la restructuration de la dette de la Zambie, la participation annoncée de la Chine à la Coalition de hautes ambitions pour la planète et peuples montrent parmi d’autres qu’ensemble, la France et la Chine peuvent contribuer, comme nous le disons chez nous, à faire « bouger les lignes ». Je note aussi la régularité des échanges à haut niveau cette année après la visite du Premier ministre, le 9e Dialogue économique et financier de haut niveau entre la France et la Chine s’est tenu à Beijing à la fin juillet. Le conseiller diplomatique du président français s’est entretenu avec mon ami, Wang Yi, membre du Bureau politique du Comité central du Parti communiste chinois (PCC) et directeur du Bureau de la Commission des affaires étrangères du Comité central du PCC, le 30 octobre dernier, à l’occasion du dialogue stratégique, et pour clôturer cette séquence bilatérale, Catherine Colonna, la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est rendue à Beijing fin novembre pour co-présider le 6e Dialogue de haut niveau sur les échanges humains. L’année 2023 a également été marquée par la reprise des échanges humains et de la connectivité aérienne. Le retour des mobilités étudiantes et des touristes chinois en France est une nouvelle positive, et j’imagine que nous sommes tous d’accord pour dire que la France et la Chine doivent poursuivre sur cette voie. 

Dans un monde en crise marqué par une montée des tensions de toutes sortes, une relation de confiance mutuelle entre nos deux pays peut produire des avancées concrètes pour apporter des réponses aux grands défis mondiaux qui ont été cités par David Gosset et contribuer à la stabilisation des crises internationales. Notre objectif doit être, me semble-t-il, de montrer que la logique de blocs hostiles n’est pas une fatalité, et que nous pouvons, ensemble et avec d’autres, travailler autour d’un agenda positif pour faire face aux enjeux communs. À cet égard, la célébration du 60e anniversaire de nos relations bilatérales en 2024 sera une année importante pour la relation franco-chinoise, mais aussi pour le monde. Le 27 janvier 1964, Charles de Gaulle avait fait le choix « sous le poids de l’évidence et de la raison » d’ouvrir des canaux de relations diplomatiques avec la République populaire de Chine. Et ce n’était pas le cas à l’époque de tous les grands pays du monde. Soixante ans plus tard, la même logique nous amène à considérer la Chine, qui s’est énormément développée comme un partenaire incontournable dans la solution aux problèmes mondiaux et aux crises internationales. Soixante ans en Chine, c’est l’accomplissement d’un cycle. Il s’agit désormais d’entamer le cycle suivant et de réaffirmer nos priorités communes. 

La marque Sisley organise une activité de promotion dans le grand magasin Daimaru à Nanjing East Road à Shanghai, le 26 mai 2021. 

Le 60e anniversaire de notre relation sera placé sous le signe de la reprise des échanges humains. Se tiendra en 2024 l’Année franco-chinoise du tourisme culturel, axé autour de la coopération touristique et culturelle entre nos deux pays. Et pour couronner tout cela, à l’été 2024, se dérouleront à Paris les Jeux olympiques et paralympiques d’été. Une approche commune sur les questions de climat et de biodiversité me paraît également hautement souhaitable, parce qu’elle marquerait cette étape nouvelle. Ces échéances nombreuses ponctueront une année qui s’annonce importante pour la relation bilatérale sur le plan symbolique et sur le plan concret. Et il serait évidemment excellent qu’une visite réciproque de nos deux présidents puisse marquer fortement cette étape culturelle. Pour conclure, je voudrais rappeler les mots du président Xi Jinping lors de la journée d’ouverture de la COP 21 à Paris, dont je me souviens très bien. En 2015, le président a cité le célèbre écrivain français Victor Hugo, dont il connaît très bien les œuvres, et a observé dans son fameux roman Les Misérables, que « les ressources suprêmes sortent des résolutions extrêmes ». Dans cet esprit, la Chine, la France, l’Union européenne, les États-Unis et tous les pays du monde doivent s’engager à mieux protéger les enjeux essentiels de l’humanité, dont l’environnement et la paix, et à prendre ensemble des mesures concrètes pour construire un monde résilient, juste, équilibré et durable.  

(Cet article a été édité à partir d’un discours de son auteur au Forum de coopération des groupes de réflexion Chine-Europe-États-Unis lors du Dialogue de Paris en 2023. Le titre a été ajouté.) 

*LAURENT FABIUS est ancien Premier ministre de la République française, président du Conseil constitutionnel 

Numéro 19 janvier-mars 2024
APN&CCPPC 2024
Le bilan d'un député de l'APN
Chant manhan : le quotidien dans l'art
La Chine en contes illustrés
Liens