Chine-France

Numérique Chine-France : facteurs exogènes, endogènes et complémentaires
By ZHAO YONGSHENG* | Dialogue Chine-France | Updated: 2022-09-29 10:47:00

Les relations entre les pays avancés et les pays en voie de développement évoluent vite, surtout dans le domaine numérique entre les pays industrialisés comme la France et les pays émergents comme la Chine. Souvent les pays du Nord jouent un rôle de « maîtres » devant les pays du Sud qui sont considérés plutôt comme leurs « élèves », mais avec les progrès technologiques ultra-rapides, on commence à se poser la question : qui sont les maîtres, et qui sont les élèves ? La collaboration numérique Chine-France est un exemple.  

Quand on parle du produit intérieur brut (PIB), le classement mondial en 2021 est le suivant : États-Unis, Chine, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, Inde, France et Italie. Cependant si l’on considère l’Union européenne (UE) aussi comme une entité économique, ce qui est d’ailleurs la réalité, la réponse est moins évidente : cette fois l’UE dont la France fait partie est sur le podium dans la plupart des années observées, suivie par les États-Unis et la Chine.  

Les clients font la queue devant le magasin d’AliExpress à Paris pour son ouverture éphémère de deux jours, le 24 septembre 2020.

Après le PIB, c’est le taux de numérisation. Les premières puissances mondiales sont les suivantes : la Chine occupe la première place avec un taux de plus de 50 %, puis les États-Unis (30 %) et l’UE dont la France fait partie au taux légèrement inférieur à 30 %. Si en termes de PIB total, la Chine est la seconde économie de la planète, en termes de PIB par habitant, la Chine se trouve seulement au milieu de l’indicateur, à la 63e place avec 12 359 dollars, contre la 1ère place, le Luxembourg, avec 136 701 dollars en 2021.  

Alors comment un pays dont le PIB par habitant est à la 63e place a-t-il pu gagner ce « championnat » en termes de numérisation et avec un si grand écart, soit plus de 20 points de pourcentage d’écart que la moyenne UE-USA ? Si l’on compare du côté de la demande par exemple, la Chine avec la France dans ce domaine, on peut découvrir les différences Chine-France dans la demande exogène gouvernementale, la demande endogène sectorielle de la numérisation et l’environnement social et réglementaire de la société elle-même.  

D’un côté dans la demande exogène, la Chine a mis en évidence sa capacité d’organisation incomparable dans le leadership de cette nouvelle industrialisation numérique mondiale, ce qui est quasi-impossible dans un pays comme la France. Du côté de la demande endogène, la Chine a réussi à combler le vieillissement démographique et la crise de la main-d’œuvre en numérisant ses entreprises. Les usines dans les régions côtières ont commencé à recourir à l’usage de robots à la place des ouvriers pour ne pas fermer leurs portes.  

Si la demande exogène gouvernementale en Chine est le fruit d’une approche descendante et volontaire afin de faire face à la nouvelle donne mondiale dans remise à niveau industrielle, la demande endogène sectorielle de numérisation en Chine est le fruit d’une approche ascendante et contrainte afin de faire face à la nouvelle donne domestique du marché de travail. Cette demande exogène chinoise vise à trouver une place dans le numérique et cette demande endogène chinoise vise à venir à la rescousse des entreprises chinoises, alors que ce n’est ni nécessaire, ni urgent, ni faisable pour les États-Unis et l’UE, dont la France.  

En plus de la demande exogène gouvernementale et la demande endogène sectorielle, l’environnement social et réglementaire est la condition majeure pour le développement de la numérisation. Je peux dire sans exagération que la population chinoise est la plus connectée mais relativement moins réglementée parmi les grandes économies du monde. Par exemple, les ventes en ligne en Chine du géant numérique mondial Alibaba ont déjà réalisé plus de 630 milliards de dollars il y a sept ans, ce qui représentait déjà 1,8 fois le montant réalisé aux États-Unis, première puissance mondiale. Si l’on regarde l’UE de plus près, 129 milliards de dollars de ventes en ligne ont été réalisés en France contre 6 047 milliards de dollars en Chine en 2021, soit 46,9 fois plus, alors que l’écart démographique Chine-France n’était que de 1 pour 20,9 en 2021.   

Outre les facteurs endogènes et exogènes, il faut aborder la complémentarité dans la collaboration numérique Chine-France. Quant aux théories concernant cette complémentarité, nombre d’articles académiques et de presse en ont déjà traité. Je me focaliserai donc sur son aspect pratique. Je vais en citer brièvement trois domaines suivants : la réglementation, la finance et la protection de l’environnement.  

Ma France, une plateforme de commerce électronique fran?aise, organise une rencontre à Paris pour explorer le marché chinois, le 6 mai 2021. Sophie Marceau remet un prix récompensant une présentatrice de vente en streaming.

La France et la Chine peuvent collaborer dans le domaine de réglementaire. La France est un vrai leader de la réglementation dans la numérique. C’est par exemple le premier pays dans le monde qui a réussi à faire payer des impôts aux GAFA. La Loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques a été adoptée par le Sénat français. Les entreprises qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires dans ses activités numériques annuelles globales et 25 millions d’euros sur le territoire français seront obligées de payer 3 % d’impôts numériques.  

À mon avis, la France ou l’UE est plutôt un « marché » des services numériques alors que les États-Unis sont plutôt un « fournisseur ». Quant à la Chine, je les classe entre les deux, en même temps un « fournisseur » et un « marché ». Les réglementations pilotées d’abord par la France et ensuite par l’UE visent non seulement les entreprises américaines, dont les GAFA ou GAMA maintenant (Meta à la place de Facebook), mais aussi aux entreprises chinoises dont les BAT (Baidu, Alibaba et Tencent) et Huawei.  

Ainsi la collaboration Chine-France dans la réglementation va concerner non seulement les entreprises numériques en France ou en Europe, les entreprises numériques françaises ou européennes en Chine malgré leur influence encore limitées, mais également le grand chantier de réglementations sur le numérique en Chine qui n’a pas encore été entamé. Quant à la finance et la protection de l’environnement, je les analyserai de manière détaillée et systématique dans un prochain article.  

*ZHAO YONGSHENG • professeur de finances à l’Académie des études sur l’économie ouverte de Chine et à l’Académie d’innovation et de gouvernance globales, et directeur du Centre de recherche sur l’économie française de l’Université d’économie et de commerce international (UIBE) 

Numéro 12 avril-juin 2022
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